lundi 26 décembre 2011

La fête des vieux enfants


Avant même que j’aie eu le temps de me rendre compte que nous y étions, Noël était déjà derrière nous. Mon premier Noël à l’étranger. J’avais déjà passé mon anniversaire, la Nouvelle Année, Pâques et je ne sais plus quelle autre fête loin de chez moi, mais Noël, jamais. Je me suis rendue compte à quel point j’associais cette fête à la famille. Aux petites traditions bien de chez nous, à des détails insignifiants mais qui, au final, constituent tout le plaisir de cette fête, comme j’en parlais un peu ici. Les miens m’ont manqué. La neige m’a manqué. Le ragoût de pattes de cochon, les bean maison de mon père, la tourtière, les atacas, les biscuits frigidaires, le sucre à la crème, la salade de macaroni froid et la bûche à la crème glacée m’ont manqué. Je ne suis pas une grande consommatrice de cuisine québécoise traditionnelle, mais dans le temps des Fêtes, c’est un passage obligé !

En Italie, la cuisine traditionnelle se mange 365 jours sur 365 et le repas de Noël n’offre pas beaucoup de surprises aux palais en quête de diversité. Dépendant des villes et des familles, le menu de base variera, mais de façon générale, dans le Nord, on mange des cappelletti in brodo, des lasagnes ou des tortelli di zucca (servi avec du vinaigre balsamique et de la pancetta ou tout simplement avec du beurre et du parmesan), suivis d’un plat de viande ou de charcuteries ou, encore mieux, du carrello dei bolliti (littéralement « carrousel des viandes bouillies » – quand vous choisissez ce plat typique de la région de Modène, le chef ou le serveur se présentent à vous avec son chariot rempli de viande et son gros couteau et vous demandent ce qu’il peuvent vous servir entre du cotechino, du zampone (pied de porc farci), de la langue (de veau), la testina (toutes les parties « molles » de la tête du veau (mais pas le cerveau), broyées et mélangées), ou de la dinde. Pour accompagner le tout, on vous offre de la purée de pomme de terre ainsi que de la mostarda, de la salsa verde et de la salsa giardiniera (légumes hachés très fins au goût aigre-doux). On complète le tout avec un dessert, soit una torta di gelato ou un morceau de panettone, un café bien serré, et quelques alcools forts, pour bien digérer ce festin anti-régime.

Hier midi, nous sommes allés au restaurant avec quelques membres de la famille Gualdi-Malavasi et pratiquement tout le monde autour de la table a mangé ce que je vous ai décrit plus haut. Sauf moi. J’ai fait ma rebelle. Je me suis pris un plat de maccheroni al pettine con sugo di coniglio (type de maccheroni aux œufs à la sauce au lapin) et comme je n’avais pas particulièrement envie de viande, j’ai opté pour un Alpino con funghi (une sorte de fromage de brebis fait dans les montagnes, fondu et accompagné de bolets). Je croyais avoir fait là un choix plus « santé », mais je me trompais : le serveur m’est arrivé avec une tomme de fromage complète, bien grasse et bien huileuse. C’était affreusement cochon – je n’ai pas pu tout avaler.

Nous sommes allés manger le dessert chez Marinella, une des tantes de F. qui, malheureusement, ne pouvait pas quitter la maison car son mari, Massimo, a 93 ans, est malade et ne bouge pratiquement plus. Nous les avons donc rejoints pour prendre le café, la torta di gelato et le limoncello et pour faire notre échange de cadeaux. Les quelques heures que nous avons passées là auraient facilement pu constituer une scène d’un film de Woody Allen, comme l’a si bien fait remarqué la sœur de ma belle-mère…

Pendant que Massimo dormait dans son lit, qui trône depuis plusieurs mois au milieu du salon – il ne s’est jamais rendu compte que huit personnes étaient rentrées chez lui pour fêter Noël –, Luisa, la grand-mère de F. (qui a 86 ans et qui en perd parfois des bouts), faisait des commentaires du genre « Moi je vais mourir bientôt » et la Rosina, la mère de l’oncle de F., qui a quelque chose comme 90 ans, qui a une énergie absolument étonnante et qui se déplace avec une fluidité de mouvement surprenante, passait son temps à dire à Marinella « Regarde, Massimo bouge, je crois qu’il veut quelque chose », et Marinella de lui répondre chaque fois « Je sais, je sais, ne t’en fais pas, il est toujours comme ça. » Raconté comme cela, ça peut sembler anodin et plus ou moins comique, mais je vous jure, passer Noël avec une gang de petits vieux, italiens de surcroît, c’est vraiment divertissant. Légèrement triste et absurde, mais surtout très drôle. C’est comme passer Noël avec des enfants, mais avec une intense dose d’ironie. Noël, la fête des vieux enfants. 

Marinella a offert un livre sur l’histoire de Carpi à Luisa, dans lequel il y avait deux ou trois clichés sur lesquels elle et son défunt mari apparaissaient. Des photos prises dans les années 50, alors que Luisa et Sergio étaient jeunes, fringants et qu’ils avaient la vie devant eux. Quand Marinella a montré à Luisa les photos sur lesquelles elle figurait, elle ne s’est pas reconnue. Ce visage ne lui disait rien. Nous lui avons expliqué qu’il s’agissait d’elle, alors qu’elle était enceinte de la mère de F., mais cela n’a provoqué aucune émotion chez elle. À peine a-t-elle lâché un « Eh ben. » Le passé n’existe plus vraiment pour elle. Elle ne voit que l’avenir. Et pour elle, l’avenir, c’est mourir. Elle est réaliste, c’est tout.

À la fin de l’après-midi, alors que chacun s’apprêtait à retourner chez soi, Massimo était un peu plus agité. Tandis que nous enfilions nos foulards et nos manteaux, lui, de ses mains frêles, couvertes de taches brunes et de veines bleues, tentait d’ôter ses pantalons. Probablement avait-il rempli sa couche et désirait-il signaler qu’il était temps de la changer. Or, à ce moment précis, Marinella était occupée à accueillir deux de ses amis qui venaient à leur tour lui tenir compagnie pour quelques heures. Nous avons tenté de convaincre Massimo qu’il valait mieux garder ses pantalons encore quelques minutes, mais essayer de faire comprendre quelque chose à un vieil homme de 93 ans qui n’a plus toute sa tête, c’est pire que de s’obstiner avec un enfant de 3 ans qui répond non à tout ce que vous lui dites. C’est donc les culottes baissées que Massimo nous a salués. Sa manière de nous souhaiter Joyeux Noël et de nous dire merci d’être passés.

Tout cela aurait pu nous donner envie de pleurer, mais au contraire, tout le monde rigolait. Parce que tout le monde sait que c’est ce qui l’attend – s’il est chanceux et que le destin lui permet de vivre aussi longtemps. Chanceux. Le mot est-il approprié ? Je l’ignore. Est-ce une chance de finir ses jours avec une couche sur les fesses, couchés dans un lit à longueur de journée, incapable de faire quoi que ce soit par soi-même ? La question se pose. La chance, à tout le moins, c’est de vivre cette agonie entouré de gens qui nous aiment, qui s’occupent de nous et qui sont prêts à sacrifier une partie de ce qui leur reste de vie « non agonique » pour nous accompagner jusqu’à ce dernier souffle qui tarde à s’expirer.

En Italie, les maisons pour personnes âgées ne sont pas très populaires. Les gens vieillissent et meurent chez eux, à la maison, avec leur famille, leurs meubles, leurs souvenirs, dans leur chambre. On ne « place » pas les vieillards, on prend soin d’eux ou, à défaut de pouvoir le faire soi-même, on engage une badante (auxiliaire de vie) venue de la Moldavie pour le faire à notre place. À Carpi, il existe bel et bien une maison de retraite où certaines personnes âgées sont envoyées, après un séjour à l’hôpital bien souvent, mais la rumeur veut que tous ceux qui vont là-bas n’en ressortent jamais et ne durent pas plus de deux semaines… Un homme a besoin de sa maison pour vieillir, pour vivre sa vie jusqu’au bout. Si on le déloge de chez lui, il finira par se laisser mourir, déraciné, sans repères, vidé de lui-même. La maison n’est pas qu’un lieu physique ; c’est un endroit à l’intérieur de soi-même, où l’on se sent bien, où l’on se sent aimé et en sécurité. La maison, ce sont les gens que nous chérissons.

En ce Noël 2011, je me suis sentie loin de la maison. Heureusement, F. est pour moi une petite maison portative. Peu importe où je suis, s’il est avec moi, je ne me sens jamais complètement dépaysée. Notre amour m’abrite en tout lieu.


lundi 12 décembre 2011

L'art de botcher sa job, ou le perfectionnisme à l'ère de la rentabilité


Je profite beaucoup du recul que m’offre mon séjour en Italie pour réfléchir à ce que je veux faire de ma vie professionnelle. Il est clair que je veux continuer à écrire, or, je ne souhaite pas faire uniquement cela. Pour être un bon écrivain, il faut aussi vivre. Vivre à l’extérieur des mots, dans la réalité, des expériences, des aventures, des rencontres. Non seulement cela est-il nécessaire à mon art, mais ce l’est encore davantage pour ma santé mentale. J’ai besoin de voir des gens, de travailler en équipe, d’être stimulée par les idées des autres, qu’on me pose des défis, qu’on m’invite à me dépasser. Ne devoir rendre des comptes qu’à moi-même ne m’est pas suffisant. Rapidement, j’en viens à me sentir incomplète, déconnectée et inutile.

Pourtant, travailler avec les autres est difficile. Cela nécessite beaucoup d’eau pour bien diluer son vin, de la patience, de l’empathie et plusieurs bonnes paires de gants blancs. De façon générale, je crois que je peux facilement parvenir à faire preuve de toutes ces belles qualités. Cependant, une chose que je suis incapable de supporter dans le fait de travailler avec et pour d’autres, c’est la propension de la majorité des gens à se contenter du minimum. Peu importe où, avec qui, dans quel domaine et pour quelles raisons, presque chaque fois où j’ai été appelée à travailler pour des entreprises ou que j’ai offert mes services à des particuliers, j’ai dû revoir à la baisse mes propres exigences pour satisfaire celles de mes employeurs ou de mes clients.

Moi et mon éthique professionnelle, nous nous sommes souvent faites revirer de bord avec des phrases du genre : « On sait que ce n’est pas parfait, mais on ne veut pas que ce le soit non plus. On ne veut juste pas que ça nous coûte cher, alors pourrais-tu, s’il te plaît, faire ça le plus rapidement possible, quitte à fermer un œil sur certains détails qui ne fonctionnent pas. » En d’autres mots, on m’a souvent demandé de « botcher » ma job. Ce que je suis incapable de faire. Après, on m’a donc reproché d’avoir été trop scrupuleuse, de m’être trop attardée sur des broutilles de seconde importance et d’avoir perdu mon temps à faire un boulot impeccable. Parce que quand je demande à ces gens qui m’embauchent ce qui cloche exactement, quelle partie de mon travail est incorrecte, ils me répondent « Ah, ton travail est béton, ce n’est pas ça le problème. Tout ce que tu as fait était pertinent, c’est juste que ce n’est pas ça qu’on t’avait demandé. » J’oubliais : on m’avait demandé de faire mon travail à moitié. Mon erreur. Désolé monsieur de vous avoir fait gaspiller votre temps et votre argent.

Jusqu’à présent, pour gagner ma vie et payer mes factures, j’ai surtout fait de la correction, de la révision, de la traduction et de la rédaction. En traduction et en rédaction, généralement, les clients chialent beaucoup moins, ils n’ont rien à redire sur le produit fini –parce que ce produit ne porte pas atteinte à leur intelligence, il n’est que le fruit de mon travail à moi et ils n’ont pas à se sentir « rabaissés » par les textes que je leur livre, puisqu’ils ne constituent pas une critique de ce qu’eux avaient fait au préalable. C’est lorsqu’il s’agit de révision linguistique que ça se corse. Les gens, y compris ceux qui ne sont pas des professionnels de la plume – ou surtout ceux qui ne sont pas des professionnels de la plume ? –, sont généralement très fiers des textes qu’ils me donnent à corriger. Leur orgueil en prend donc un coup lorsque je leur renvoie leur « bébé » couvert de rouge et de commentaires. Ils ne comprennent pas.
-       Pourtant, je l’ai fait lire à ma blonde pis elle trouvait ça vraiment bon. 
-       C’est possible. Qu’est-ce qu’elle fait ta blonde dans la vie ?
-       Elle est hygiéniste dentaire, c’est quoi le rapport ?
-      Le rapport, c’est que sa job, c’est de nettoyer des dents, ce qu’elle fait avec beaucoup de minutie et de professionnalisme, j’en suis convaincue, tandis que ma job à moi, c’est de nettoyer des textes. De les rendre meilleurs. Si tu penses que ta blonde est capable de faire ma job, engage-la elle, pas moi. Mais ne viens pas te plaindre après que ton texte n’a pas reçu l’accueil escompté ou je ne sais quoi encore.
-     Oui, mais moi je t’avais demandé de juste corriger les fautes pis toi, tu m’as tout revirer ça de bord et t’as changé la moitié de mes phrases. 
-       Parce que la moitié de tes phrases n’étaient pas syntaxiquement correctes.
-       C’est mon style, c’est tout. 
-       Pour prétendre avoir un style, il faut d’abord maîtriser les règles de base, je suis désolée. Ce qui n’était pas le cas ici, c’est pourquoi je t’ai fait de nouvelles propositions. Tu n’es pas obligé de les accepter, c’est toi le client, tu as le dernier mot. Mais la prochaine fois que tu veux juste faire corriger « tes fautes », achète-toi Antidote et laisse-moi tranquille. Je te jure que lui, il ne t’achalera pas avec la construction de tes phrases, il ne sait même pas ce que ça veut dire une phrase nominale.

(Ah, si un jour j’avais le guts d’avoir cette conversation pour vrai.)

Lorsque j’apporte des modifications au texte de quelqu’un, c’est toujours en prenant la peine de les justifier, même s’il s’agit d’un élément mineur, parce que je sais que les gens sont sensibles par rapport à ce qu’ils écrivent – ils ont toujours l’impression qu’on les attaque personnellement lorsqu’on change un verbe pour un autre, plus précis. Je suis la première à refuser les changements que me proposent les réviseurs linguistiques lorsque ceux-ci m’apparaissent arbitraires. Par contre, lorsque le réviseur a RAISON, qu’il soutient son point de vue avec une définition de dictionnaire ou une entrée du Grevisse, je suis également la première à me plier à sa recommandation et à le REMERCIER de m’avoir éclairée.

Les réviseurs ne connaissent pas tout. Ils ont chacun leur petite bibitte noire et accordent plus ou moins d’importance à différents éléments. Par exemple, pour ma part, je suis très capricieuse en ce qui a trait à la concordance des temps de verbes. C’est ma « spécialité » – ce qui ne veut pas dire que je ne fais pas d’erreurs de ce genre dans mes propres textes, car travailler ses propres textes et ceux des autres est très différent. Malheureusement, l’attention que j’accorde à ce genre de choses peut me faire passer à côté d’autres types d’erreur qui, selon mon jugement, sont de moindre importance, alors qu’un autre correcteur les aurait vues au premier regard. À chacun ses forces et ses faiblesses. Bien qu’il repose entre autres sur la maîtrise des ouvrages de référence, le métier de réviseur en est un hyper subjectif et aucun réviseur ne peut prétendre tout voir et tout corriger. Cependant, il peut faire de son mieux. C’est ça son travail. Alors quand on me demande de ne regarder que la grammaire et de passer vite sur tout le reste, on exige de moi que je fasse exactement le contraire de ce en quoi ma profession consiste.

Je dis « ma profession », mais honnêtement, je ne suis pas convaincue que je ferai cela encore très longtemps, du moins, pas comme métier principal. J’accepterai probablement toujours les petits contrats ici et là, surtout pour donner un coup de main à des gens en qui je crois et qui me proposent des projets ultra enthousiasmants, mais pour le reste, je crois que je vais céder ma place à d’autres. Pour faire quoi ? Aucune idée. Mon problème, c’est que j’ignore si je réussirai un jour à trouver un environnement de travail où mon perfectionnisme sera le bienvenu. Où on ne passera pas son temps à me demander de tourner les coins ronds. J’ai plutôt l’impression que le monde du travail est géré par des êtres approximatifs à qui on a appris que le nivellement par le bas était la meilleure manière d’être productifs. Je dis « le monde du travail », mais n’est-ce pas le monde en général qui est géré par ce genre d’énergumènes ?  

mercredi 30 novembre 2011

Cette saison n'est pas l'hiver


Dernier jour de novembre. La folie du temps des Fêtes débutera bientôt. Mes beaux-parents, qui possèdent chacun un commerce, travailleront sept jours sur sept d’ici au 24 décembre afin de satisfaire les envies de surconsommation des clients les plus exigeants. Pour ma part, je n’ai jamais senti Noël aussi loin, aussi flou, aussi improbable.

Pour moi, Noël qui approche, c’est la première neige, la rue Sainte-Catherine envahie par la slush et les passants qui se traînent les bottes et qui se plaignent qu’il fait trop chaud dans les souterrains du métro ; Noël, c’est les décoration chez Simons, les promenades sur l’avenue Mont-Royal, un arrêt au Première Moisson pour prendre un chocolat chaud et un dessert trop cochon, l’odeur des clémentines mélangée à celle du sapin fraîchement récolté au Marché Jean-Talon, mes chats qui jouent avec les guirlandes, les films à Télé-Québec, un voyage en train jusque chez mes parents à Québec, une soirée de jeux et de rires avec mes sœurs, mon frère, mes parents, mon neveu, des journées complètes en pyjama à regarder la télé chez ma mère, un long bain chaud, lire un livre pendant qu’il fait tempête dehors et, le lendemain, aller faire de la raquette dans le bois ou patiner à l’anneau de glace du quartier. Ici, il n’y a rien de tout cela.

La neige est remplacée par le brouillard et l’humidité. Moi, la Canadienne, celle qui vient du Nord, qui a connu les moins quarante degrés Celsius, je passe mon temps à dire que j’ai froid. Le thermomètre italien a beau afficher une température extérieur de cinq degrés, je grelotte, car l’humidité perce la peau, pénètre tous les tissus et enrobe les os. Je passe mes journées avec une doudou sur le dos à rêver du froid de chez nous, blanc et sec.  

Mis à part rêver au vrai hiver, j’avoue ne pas faire grand-chose. Je n’ai pas envie d’écrire par les temps qui courent. Ce n’est pas pour rien que la semaine dernière, pour la première fois depuis que je suis partie, je n’ai pas nourri ce blogue. Mon ordinateur me rebute. Mon corps refuse de rester assis des heures devant l’écran. Non pas que je n’aie plus d’idées, seulement, celles que je possède voudraient pouvoir s’exprimer de manière plus physique, concrète, humaine. En ce moment, les mots ne me suffisent pas. J’ai besoin d’images, de gestes, de touchers, de couleurs, de sueur. Loin de moi l’idée d’abandonner l’écriture. Je désirerais simplement compléter l’écriture, lui trouver une compagne, un autre mode d’expression qui pourrait combler en moi les envies que la littérature ne parvient pas à assouvir. J’ai des fantasmes de théâtre, de bricolage, de peinture, de découpage, de photographie, de danse.

Au beau milieu d’un décor hivernal, bordé de blanc et de branches mortes, une immense scène, sur laquelle se tient une jeune femme rousse, habillée de violet et d’orangé. Elle parle, elle gesticule, déambule, avance, recule, s’adresse à une foule qui n’existe pas. Car cette saison n’est pas l’hiver. 



jeudi 17 novembre 2011

La méthode italienne - une longue et lente agonie


Hier, un peu plus de deux mois après m’être inscrite à mes cours de conduite, je suis finalement allée passer mon examen théorique. J’aurais bien aimé y aller avant, mais l’administration italienne ne voulait pas. Autant elle a été très rapide et efficace quand il a fallu me délivrer un permis de séjour, une carte d’assurance maladie et une carte d’identité, autant elle a pris son temps en maudit pour me permettre de passer ce foutu examen.

Jamais je n’ai vu autant de « tempi tecnici » (délais) inutiles pour une chose aussi simple. Premièrement, j’ai dû me taper six semaines de cours théoriques. Et quand je dis six semaines, c’est six semaines, soit une heure de cours tous les jours, du lundi au vendredi. En fait, c’est seulement six heures de cours obligatoires de plus qu’au Québec, seulement, ces cours sont concentrés au tout début, au lieu d’être étendus sur plusieurs mois. Je dois aussi avouer qu’un des avantages majeurs de prendre mon permis ici, c’est que je n’aurai pas besoin d’attendre dix mois avant de faire mon examen pratique et d’obtenir mon permis : dès que je me sentirai prête, je pourrai le faire. Bref, je chiale, je chiale, mais reste que ce n’est pas nécessairement mieux chez nous. Tout de même, laissez-moi le plaisir de me plaindre encore un peu…

Après m’être tapé les fameuses six semaines de cours, je croyais être bonne pour pouvoir aller passer l’examen théorique directement ; je me mettais la main dans l’œil. J’ai dû passer non pas une, mais bien deux visites médicales. Auparavant, une seule était nécessaire, mais depuis janvier 2011, les règles appliquées pour l’obtention d’un permis de conduire et concernant la conduite des nouveaux conducteurs ont été énormément resserrées. Ils ont entre autres cru bon d’obliger les gens à aller visiter leur médecin de famille afin de lui faire signer une feuille attestant qu’ils n’ont ni problèmes cardiaques, ni problèmes d’épilepsie, ni je ne sais plus quoi. J’ai la chance d’avoir un médecin de famille ici, mais c’était tout de même un peu ridicule de la payer 35 euros pour qu’elle signe cette feuille, car quand je suis rentrée dans son bureau, c’était la première fois qu’elle me voyait de sa vie, alors qu’en savait-elle, elle, si je faisais de l’épilepsie, des crises de nerfs, de l’acné pubien ou des crises cardiaques à répétition?! Elle a empoché mon 35 euros sans chigner et m’a cru sur parole quand je lui ai dit que j’étais en pleine forme.

Le deuxième examen, c’était encore plus ridicule. Auparavant, il n’y avait que celui-ci qui existait. Il s’agit en fait d’aller voir le dottore trentaquattro (le « docteur trente-quatre », qui doit son nom au fait qu’il en coûte 34 euros pour le voir) qui doit confirmer si oui ou non nous avons besoin de lunettes ou de lentilles de contact pour conduire. Auparavant, il évaluait aussi la santé globale du patient en lui posant deux-trois questions débiles, mais puisque maintenant c’est le médecin de famille qui se charge de cette partie, lui, tout ce qu’il a eu à faire, c’est me demander quelle était la force de mes verres (observateur qu’il était, il a remarqué que j’en portais) pour ensuite me faire lire des lettres sur un carton blanc et confirmer que je voyais un minimum de ce qui se passait autour de moi avec mes lunettes. La visite a duré une minute. Suivant ! Sérieux, je veux la job de ce mec : aller m’asseoir tous les vendredis soirs pendant deux heures dans un petit bureau et voir une trentaine de patients pour leur signer une feuille sur laquelle j’inscris les informations qu’eux-mêmes me donnent. Même pas besoin de vérifier quoi que ce soit, juste d’encaisser les 34 euros par personne et de m’en aller me payer une belle soirée au bar après. Trente personnes fois 34 euros, ça fait 1000 euros en deux heures ça… Après ça les Italiens se demandent pourquoi l’économie de leur pays est en crise.

Après avoir payé un total de 70 euros pour me faire dire que j’avais l’air en santé, je croyais en être quitte pour enfin aller faire l’examen : autre bras dans l’œil. Je me suis rendue à l’école de conduite, où l’on m’a dit qu’il devait d’abord faire venir mon foglio rosa (« la feuille rose », soit le petit nom d’amour donné au permis de conduire ici) et que cela allait prendre une semaine. Après ce nouveau tempo tecnico, je n’avais qu’à me présenter de nouveau à l’école pour prendre mon rendez-vous pour l’examen – pas pour le faire, quand même, vous exagérez là, ça aurait été trop facile.

J’ai été patiente et, sept jours plus tard, je me suis présentée comme convenu à l’école. Joie ! mon foglio rosa était bel et bien arrivé, mon dossier n’avait rencontré aucun problème (j’aurais tué quelqu’un si ça avait été le cas) ; je pouvais donc prendre mon rendez-vous. La dame m’a demandé quand je voulais faire mon examen, me spécifiant que ça n’allait pas avant la semaine du 14 au 19 novembre (on était quelque chose comme le 3 novembre). Bon, ben pas trop le choix alors, prenons cette semaine, si c’est ce que vous avez de plus rapide, criss (des fois, je l’avoue, je sacre en français, personne ne comprend, on continue de me regarder avec le sourire sans savoir que je viens de dire un gros mot et moi, ça me défoule). La dame derrière le comptoir m’a spécifié qu’elle ne connaissait pas encore la date exacte de l’examen et que je devrais passer (ennnnccccccoooorrrrreeeeeee) à l’école le jeudi suivant pour voir quel jour précisément le test avait lieu. Une longue et lente agonie, voilà ce que c’est, vouloir prendre son permis de conduire en Italie.

L’examen auquel j’étais inscrite avait lieu mercredi le 16 novembre. Hier. Je ne pouvais pas le croire. Mardi, j’ai révisé un peu, histoire de ne pas me planter le lendemain et de ne pas avoir à repasser au travers d’une partie de cet interminable processus et, pis encore, de payer de multiples fois les 80 euros exigés pour faire l’examen.

Hier, je me suis présentée à 7h45 à l’école de conduite. Les dix élèves (pour la plupart des prépubères, évidemment, j’avais l’air d’une matante à côté d’eux) inscrits à l’examen devaient se retrouver à cet endroit afin qu’on nous emmène à Modena, qui est à environ 25 minutes de Carpi, où est situé le siège de la Motorizzazione civile (l’équivalent de notre SAAQ) et où se déroulent les examens de tous les habitants de la province de Modena.

Nous sommes évidemment partis un peu en retard et il y avait évidemment du trafic sur la route, donc nous sommes arrivés vers 8h50 à Modena. Cela ne changeait pas grand-chose puisque la salle d’examens était déjà occupée par un autre groupe de jeunes. Nous avons donc attendu que ceux-ci terminent leur examen (30 minutes maximum sont allouées pour le compléter), qu’ils reçoivent leurs résultats, qu’ils libèrent l’espace et qu’on appelle les membres de notre groupe un par un. Je crois qu’on a finalement débuté l’examen vers 10h.

Avant de commencer, l’esaminatore, une dame affreusement bête, sèche et amère (une fonctionnaire, quoi) nous a expliqué la procédure et les règlements – surprise, nous n’avions ni le droit de parler entre nous ni celui de regarder dans nos livres. Elle nous a demandé de nous rendre à une certaine page sur l’ordinateur et elle voyait sur son écran que l’un d’entre nous n’y était pas encore. Elle a demandé « Qui ne voit pas cette page sur son écran ? » Silence dans la salle. Elle a répété sa question trois fois, toujours en levant un peu plus le ton, pour finir par gueuler « C’est quoi, va falloir que je fasse le tour des ordis pour voir qui n’est pas sur la bonne page ? » Un gars a finalement compris que c’était lui qui était dans l’erreur. Avec tendresse et compréhension, elle lui a lancé un « Coup donc, tu comprends-tu l’italien, toé ?! » Malaise. Elle a amené le jeune sur la bonne page puis a continué ses longues et inutiles explications. À un certain moment, une jeune fille au fond de la classe a poussé un soupir, qui me semblait être un soupir de stress beaucoup plus qu’un soupir d’ennui, mais l’hystérique l’a pris personnel et s’est mise à l’engueuler « Je vous rappelle, les jeunes, que vous êtes ici par votre propre volonté. Si vous êtes pas contents, allez-vous en, y’a personne qui vous force. » Euh, oui madame, en fait, y’a le gouvernement qui nous force, on n’a pas vraiment le choix de le faire cet examen de marde, alors pouvez-vous vous calmer le pompon et nous laisser le faire en paix?!

Pendant que l’autre folle s’énarvait le poil des d’sous d’bras, sur mon écran, la page de l’examen est apparue par elle-même. Je voyais le compteur descendre tranquillement. 29 :59, 29 :58, 29 :57… Et l’autre qui ne cessait de jacasser et de nous envoyer chier. Avoir été plus sûre de moi en italien, je lui aurais probablement dit que l’examen avait commencé et que j’aurais apprécié qu’elle me laisse l’effectuer dans le silence, mais c’est probablement une bonne chose que j’aie manqué de confiance en moi à ce moment, car je me serais sûrement fait expulser de la salle.

J’ai fini par faire mon examen. En italien. J’aurais pu demander à le faire en français, car dans certaines régions du Nord de l’Italie le français est une langue officielle, tout comme l’allemand, donc il est possible de faire l’examen dans une de ces deux langues, mais je considérais que cela aurait été encore plus difficile, puisque j’avais tout étudié en italien et que je ne connaissais pas nécessairement les termes techniques dans ma propre langue. Je n’ai pas eu droit aux questions les plus difficiles, heureusement. J’ai quitté la salle après une quinzaine de minutes.

Ici, ce n’est pas comme au Québec, on ne sait pas au fur et à mesure si on a bien répondu ou non et le résultat ne nous apparaît pas à l’écran tout de suite après avoir fini. Une longue et lente agonie, je vous dis. Nous avons dû attendre que tout le monde termine son test et sorte de la classe. À ce moment seulement, la fonctionnaire qui ne se fait pas baiser assez souvent par son mari moustachu a pu imprimer les résultats. Elle nous a alors rappelés dans la salle et elle a dit le nom de tous les élèves à voix haute, en précisant qui avait réussi ou non. De quoi faire honte à ceux qui étaient venus faire le test entre amis… Mon nom imprononçable était à la fin, évidemment – Véréhaoult, qui disent, les Italiens. Heureusement, il était suivi de la mention réussite. La majorité l’ont passé, sauf deux ou trois garçons je crois – les vilains, ils n’avaient pas suffisamment étudié.

Une bonne affaire de faite. Maintenant, ne nous restait plus qu’à retourner à Carpi célébrer notre victoire. Or, le responsable de l’école de conduite qui nous avait amenés à Modena était introuvable. Nous ne savions pas ce que nous étions censés faire, quelle était la suite des choses, si nous attendions après notre permis, nos résultats plus précis d’examen ou le messie. Nous avons attendu le mec pendant environ 15 minutes, ce après quoi une petite gang a décidé d’aller au bar situé une centaine de mètres plus loin pour faire la colazione. Quelle bonne idée les amis. Évidemment, le mec est réapparu 5 minutes après qu’ils soient partis. On lui a dit que les autres étaient au bar, il a répondu « Pas de trouble, on part dans 10-15 minutes de toutes façons ». Lui aussi semble être allé se chercher un café. Entre temps, la gang d’ados est revenue. Le mec a mis plusieurs longues minutes avant de se repointer lui aussi. Et on a finalement pu partir. Il était presque onze heures. Je n’ai toujours pas compris après quoi nous avions attendu pendant tout ce temps.

Rendus à l’école de conduite de Carpi, le mec nous a faits descendre et souhaité bonne journée. Ok, mais… c’est quoi la suite, chef ?! Personne ne nous disait rien. Je ne savais pas combien de questions j’avais échouées exactement ni  lesquelles et j’ignorais quand j’aurais enfin mon permis dans ma poche. Je suis allée voir la petite secrétaire (elle et moi, on commence à être pas mal amies, on se voit toutes les semaines, ‘stie). « Alors, c’est quoi la prochaine étape ? », que je lui ai demandé. « Eh bien, il faut faire imprimer ton permis de conduire. Il devrait être prêt dans environ une semaine. Je vais t’appeler quand ça sera le cas. Après, tu pourras commencer à conduire, soit à la maison, soit avec un instructeur. » Encore une semaine d’attente. Pour faire imprimer une putain de feuille. Ça doit être de l’encre vraiment spéciale. Je croyais qu’ils l’avaient fait venir il y a deux semaines, mon foglio rosa ! Ça devait juste être un « Spécimen ». F. dit que c’est parce qu’ils doivent faire venir la chose de Modena. Oui, mais moi, j’y étais 30 minutes plus tôt, à Modena, à poireauter comme une belle dinde tandis qu’il ne se passait rien du tout, j’aurais pu le faire imprimer mon calvâsse de permis de conduire et on aurait été quittes, batinse. Non, ça aurait été trop rapide. Trop simple. Ici, ça doit prendre 4 heures faire un examen qui dure en fait 15 minutes. Et dire que lorsque je pourrai finalement conduire, pendant les trois premières années, je ne pourrai pas dépasser les 100 km/h sur l’autoroute, alors que la limite est de 130 km/h pour les autres – une autre des règles qui a été resserrée en janvier 2011. Une longue et lente agonie.

En Italie, les choses doivent être compliquées, sinon, elles ne sont pas italiennes. 


samedi 12 novembre 2011

Silence radio


Cette semaine, pour la première fois depuis que je suis arrivée en Italie, je n’avais pas envie d’écrire ce blogue. Non pas parce que je n’avais rien à raconter – je ne suis jamais à cours d’histoires –, mais plutôt parce que je me suis demandé à quoi ça servait.

Ce blogue, je l’écris en partie pour moi, bien sûr ; c’est une sorte de journal de bord, un lieu de mémoire et de réflexion, qui me permet de faire le point, de mettre mon expérience en perspective. Par contre, je l’écris d’abord et avant tout pour les autres – comme à peu près tous les textes que je produis. Le journal intime ne m’intéresse pas. Si j’écris, c’est pour communiquer. Partager, faire sourire, toucher, émouvoir, questionner. Et ma plus belle récompense, c’est lorsque les gens répondent à mon appel. Qu’ils prennent la peine de réagir à mes textes, de m’exprimer ce qu’ils ont provoqué en eux, de me témoigner leur colère ou leur gratitude, leur incompréhension ou leur désaccord. Or, ici, personne ne répond jamais. Le silence radio.

Certes, les péripéties dont je fais le récit ne se prêtent pas réellement aux débats, mais tout de même, je demeure convaincue que souvent, ce que je raconte mériterait d’être contredit, approuvé, alimenté, remis en question. Ce que nul ne fait jamais. Alors à quoi bon ? Cette écriture unidirectionnelle me comble peu.

Je trouve difficile de n’avoir pratiquement jamais de nouvelles des gens que j’ai laissés derrière moi (mis à part de ma mère, qui s’est découvert une passion pour Skype, et de deux ou trois personnes, un peu plus enclines à prendre le clavier). Ma principale source d’informations, ce sont les statuts Facebook. Un peu pathétique. C’est principalement grâce à eux que je sais ce qui se passe dans la vie de mes amis. Le problème vient peut-être de Facebook lui-même, en ce sens que les gens se disent qu’ils n’ont pas besoin de m’écrire directement, puisqu’ils savent que je peux tout apprendre via leur profil. Cependant, je ne passe pas mes journées à éplucher le babillard de chacun de mes amis pour voir ce qu’il y a de nouveau dans leur vie. Se rendent à moi uniquement les nouvelles que Facebook croit bon retenir et mettre sur mon fil d’actualité. Bref, aussi bien dire que j’ignore tout de ce qui vous arrive, chers amis du Québec.

Je sais que la plupart d’entre vous ne m’écrit pas sous prétexte que son quotidien n’a rien d’intéressant, que la vie suit son cours et que les événements marquants se font rares. Mais qu’en ai-je à faire des événements marquants, moi, ce sont les détails insignifiants qui m’intéressent ! Arrêtez de penser que votre vie ne mérite pas d’être racontée. Que parce que je suis en Italie, mon existence est digne d’être mise en mots, alors que la vôtre, non. La vie italienne ne vaut pas plus que la vie québécoise.

D’autres me répondront qu’ils ne sont tout simplement pas portés vers l’écriture, que la rédaction de courriel les emmerde et qu’ils préfèrent de loin parler de vive voix. Fine. Inscrivez-vous sur Skype alors ! Si ma non technologique de mère l’a fait, vous pouvez bien le faire ! Je passe mes journées devant l’ordinateur et je n’attends que ça, être dérangée par quelqu’un qui avait envie de me dire coucou.

À notre époque, la variété et l’omniprésence des médias et des moyens de communication n’offrent plus aucune excuse aux gens qui cherchent à expliquer pourquoi ils ne donnent jamais signe de vie. Cette variété et cette omniprésence rendent également encore plus amère la déception dans le cœur de ceux qui demeurent sans nouvelles de leurs proches, car ils savent bien que ce ne sont pas les moyens de communication qui manquent. Alors que manque-t-il ? L’intérêt, probablement.

Les exilés modernes souffrent du foisonnement des modes de communication, qui met exagérément en relief le fait que la majorité du temps leur téléphone fixe et leur cellulaire restent muets, tandis que leurs nombreuses boîtes courriel et leurs boîtes aux lettres demeurent vides. Les pèlerins moyenâgeux, les nomades du désert et les soldats envoyés à l’autre bout du monde lors des multiples guerres des siècles précédents n’espéraient pas recevoir de nouvelle de qui que ce soit. Alors, lorsqu’une lettre, un télégramme ou un pigeon voyageur se présentaient à leur porte, ils ne pouvaient en éprouver que surprise et ravissement. Les attentes étant nulles, la joie était pure et intacte. Aujourd’hui, comme les expectatives sont élevées, la joie possède immanquablement un arrière-goût de tristesse.

Je suis plus que consciente que la majorité d’entre vous a autre chose à faire que de me tenir au courant du moindre mouvement survenant dans son existence, mais je ne crois pas qu’il soit si long et exigeant de taper quelques lignes sur son QWERTY et de cliquer sur « Send ».

Je ne sais pas à quoi je m’attendais exactement. Je me doutais bien qu’en m’exilant, j’allais perdre le fil et me déconnecter des personnes dont je partageais préalablement le quotidien, mais je pense que je n’avais pas réalisé à quel point je trouverais ça difficile d’être ainsi exclue de ces vies qui auparavant faisaient partie de la mienne. Je ne suis pas fâchée, seulement un peu désenchantée, triste parfois. De me rendre compte que toute relation humaine, aussi sincère et profonde soit-elle, résiste difficilement aux écueils de la distance. Nous naviguons toujours seuls.  

jeudi 3 novembre 2011

La fête des morts


Je ne sais pas si j’ai peur de la mort. J’éprouve certes un drôle de sentiment quand je pense à celle-ci, mais j’ignore si l’on peut vraiment qualifier ce sentiment de peur. Ce serait plutôt une ambiguïté, une hésitation, une curiosité. Je n’ai jamais réellement connu la mort de près. Mes quatre grands-parents sont encore vivants, le reste de ma famille est en santé, mes amis ont une bonne étoile comme la mienne, bref, la vie bat son plein autour de moi et la mort m’apparaît encore comme une vague possibilité, une finalité incertaine. Il faut mourir, vraiment ? Pourtant, la vie est si forte. Il faut mourir ? Dommage. Je me plais bien ici, moi.

Depuis que je suis arrivée en Italie, beaucoup de gens sont morts. Des inconnus, pour la plupart, mais aussi des proches, dont le grand-père de F., bien sûr. Des stars, dont la pauvre Amy, ce cher monsieur Jobs et l’infâme K., ainsi que d’illustres étrangers. La mort rythme le quotidien. Les jours pourraient se compter en termes de décès. Dans le monde, de faim seulement, meurent environ 24 000 personnes chaque jour. Une heure équivaut à 3600 secondes et à mille morts.

On meurt. Partout. Au Québec, en Chine, au Soudan, au Texas, à Cuba, en Argentine. Certains décèdent des suites de bêtes accidents, d’autres d’une longue maladie ou d’une balle en plein cœur ; d’autres encore ne font que dormir un peu plus fort, d’un sommeil libérateur, au terme d’une existence bien remplie. Depuis le 31 octobre 2011, la population de la Terre est évaluée à 7 milliards d’humains. Il existe donc maintenant 7 milliards de façons de mourir.

Nous ignorons tous de quelle manière nous quitterons ce monde. Cependant, nous avons le droit de rêver et de souhaiter que celle-ci ne soit ni trop brutale ni trop lente et douloureuse. Personnellement, j’espère mourir vieille. Très vieille. Quatre-vingt treize ans, c’est mon objectif. Une de mes arrières grand-mères est morte à 92, alors qu’une de mes grandes tantes est décédée à 101 ans. Je me permets donc de croire que je porte en moi les gènes nécessaires pour mener une grande vie, aux limites de l’infini.

J’espère avoir une mort à l’italienne. Pourquoi à l’italienne ? Parce que bien qu’officiellement, l’espérance de vie soit la même pour les Canadiens et les Italiens, j’ai l’impression qu’ici, il y a plus de vieux. Ils sont partout. Dans les bars, au marché, en bicyclette. Tous les jours je croise des vieillards de 75, 80, voire 85 ans, sur leur vélo et je m’étonne. Jamais je n’ai vu ça chez nous. Des vieux Québécois en forme, il y en a (mon grand-père faisait encore du jogging jusqu’à tout récemment et je crois qu’il marche toujours 5 km quotidiennement), mais ils sont moins visibles. Moins téméraires aussi, j’oserais dire. Les vieux Italiens ne semblent pas avoir peur de se fracturer le bassin ou de se casser un poignet en tombant de leur monture. Peut-être est-ce parce qu’ils en ont vu d’autres. La majorité d’entre eux ont vécu la Deuxième Guerre mondiale, y ont participé, ont perdu des frères, des enfants, des amis à cause d’elle. Alors ce n’est pas un petit tour en bicyclette qui va les effrayer.

Mais ils ne sont pas éternels, ces courageux vétérans – ils finissent par flancher, eux aussi. Ma belle-mère se rend presque toutes les semaines au salon funéraire parce que les parents de gens qu’elle connaît meurent. Lorsque l’un d’entre eux trépasse, quelques heures plus tard à peine, on émet un avis de décès public, qui est apposé sur les murs de certains édifices. Ces affiches décorent en permanence la piazza. On n’essaie pas de camoufler la mort. On la diffuse, on s’y confronte. La mort n’est pas une honte, elle est un dénouement inéluctable, aussi bien se l’avouer.

Mardi, 1er novembre, c’était la fête des morts. Au Canada, nous ne la célébrons plus depuis longtemps, lui préférant de loin la veillée qui précède : l’Halloween. On se déguise en infirmière sexy ou en vampire déluré, on se saoule la gueule et on vomit parce qu’on a ingurgité trop de Rockets. On ne se rappelle même plus pourquoi on fait ça, d’où nous vient cette tradition de sonner aux portes des voisins pour quémander des cochonneries. Ce n’est ni Hershey ni Cadbury qui a inventé l’Halloween, contrairement à ce que l’on pourrait penser lorsqu’on rentre dans un Jean-Coutu durant le mois d’octobre. Triste blasphème. En Italie, on ne fête pas l’Halloween. (F. et moi avons eu bien du mal à trouver des citrouilles. Nous avons finalement mis la main sur deux spécimens que nous avons décorés lundi soir et que nous avons illuminés à l’aide de lampions. Nous avons ensuite regardé leur feu se consumer en écoutant Bettlejuice et en mangeant des cupcakes à la citrouille.) L’Halloween est une fête nord-américaine. Les Italiens n’en ont cure. Seul compte le 1er novembre, qui est un jour férié ici.

Le jour de la fête des morts, les gens se rendent généralement au cimetière pour rendre visite à leurs proches décédés. Ils leur apportent une offrande – des fleurs, un objet symbolique, une lettre – et ils se recueillent devant leur tombe ou, plus fréquemment, devant la niche où repose l’urne contenant leurs cendres. À vrai dire, les gens ne se contentent pas d’aller au cimetière seulement le 1er novembre. Les plus croyants, ou les plus nostalgiques, s’y rendent relativement souvent. Pour prier, rendre hommage à leur proche, réfléchir. Je vais souvent faire mon jogging sur la piste cyclable entourant le cimetière de Carpi et chaque fois, je croise des dizaines de gens habillés sobrement, munis de bouquets de fleurs et de mouchoirs, qui entrent et sortent du cimetière. Tous les jours sont bons pour aller saluer ses ancêtres. En face du cimetière, il y a un kiosque de plantes et de fleurs et, croyez-moi, son propriétaire doit faire des affaires d’or, tout au long de l’année.

Peut-être mon point de vue est-il faussé, peut-être que ma perception de la réalité n’est pas tout à fait juste, mais j’ai sincèrement l’impression qu’ici, la mort est infiniment plus respectée que chez nous. Une aura de solennité, d’humilité, de piété entoure celle-ci. Les rites liés à la disparition de quelqu’un demeurent encore très importants, chose qui, en contrepartie, tend à disparaître chez nous. Il me semble que la mort, on veut l’évacuer, l’éviter, la cacher, la dissimuler, la nier ; on veut tout faire sauf la regarder en pleine face. La célébrer, prendre le temps de la vivre, ironiquement, de l’accepter, de la faire sienne, il n’en est pas question. Cela serait beaucoup trop exigeant. Et de toute façon, la spiritualité, l’âme, la dévotion, la religion, l’au-delà, ce ne sont que des balivernes, n’est-ce pas ? Notre peuple a tant cherché à se libérer du joug de la religion catholique qu’on dirait qu’aujourd’hui, il rejette tout ce qui a un lien, de près ou de loin, avec elle. Les discours qu’on nous a si longtemps tenus au sujet de l’enfer et du paradis, du purgatoire, de l’extrême-onction, du royaume de Dieu, de l’importance de se faire pardonner ses péchés avant de rejoindre le firmament, nous ne voulions plus les entendre. Nous avons fait tabula rasa. Et la table est demeurée vide. Aucune conception de la mort n’est venue remplacer celle que nous forçait à endosser l’Église. Comme si la mort était l’apanage de Dieu. Pourtant, la mort est humaine, et non divine.

Mardi, à l’occasion de la fête des morts, nous avons fait un dîner de famille. Alors que je préparais le repas, Luisa, la grand-mère de F. fumait une cigarette sur le balcon de la cuisine. Le père de F. lui a dit « Luisa, pourquoi tu fumes, ce n’est pas bon pour toi. » Elle a répondu « Qu’est-ce que ça peut bien faire, c’est ainsi que nous allons tous finir, de toutes façons : en cendres. » Je ne sais pas si j’ai peur de la mort. Je sais seulement que j’aimerais en venir, un jour, à avoir une vision aussi lucide de ce qui m’attend, à la fin.  

mercredi 26 octobre 2011

L'amour au temps de la corruption


Il y a plein de choses que je ne vous ai pas racontées encore. Évidemment, je vous ai caché une multitude de détails concernant ma vie quotidienne, mais pis encore, je n’ai pas partagé avec vous plusieurs de mes aventures hors-Carpi. Je ne vous ai toujours pas parlé de la fois où je suis allée à Verona, ni de celle où je suis retournée au Lago di Garda pour un souper éclair, ni de mes deux visites à Parma. Et que dire de cette escapade au Monte Sole, que nous avons faite il y a déjà plusieurs semaines ? Celle-là aussi, j’ai omis de la mentionner. Je n’ai pas encore pris la peine de terminer le récit de mon week-end en Toscane. Vous ignorez toujours qu’après Florence, je suis allée rejoindre F. à Lucca pour un super week-end en amoureux.

C’est ce que je voulais vous raconter aujourd’hui, cette fameuse fin de semaine dans la sympathique et médiévale ville de Lucca.

Je voulais vous parler de la superbe auberge de jeunesse qu’on y trouve. Pour soixante euros par nuit, nous avons eu droit à une chambre à deux étages avec un lit double, deux lits simples, une télé et une salle de bain. Incroyable. Je voulais aussi vous entretenir au sujet de tous ces bons petits restaurants où nous avons fait escale au cours de notre week-end, que ce soit pour le dîner ou pour le souper. J’ai mangé de délicieux tortellini in brodo dans une osteria vraiment chaleureuse et accueillante qui nous avait été conseillée par une dame tenant une boutique, où nous avions préalablement fait provision de produits typiques. J’aurais eu plein de choses à rajouter sur les succulents alcools que nous avons achetés à cet endroit. Il aurait été facile de vous entretenir pendant de longs paragraphes sur la beauté surprenante des tours de Lucca, surtout de celle au sommet de laquelle ont été plantés des arbres, de l’ambiance de fête et de bien-être qui règne dans ce bourg qui est encore aujourd’hui ceinturé des murs érigés par les Romains, murs qui forment un anneau de cinq kilomètres sur lequel il est possible de se promener à pieds ou en bicyclette ou de faire son jogging. Vous auriez pu rire un bon coup si je vous avais décrit le moment où nous avons justement loué un vélo tandem pour parcourir ces superbes sentiers. L’histoire aurait pu se poursuivre avec l’évocation des quelques heures que nous avons passées au jardin botanique, ou de celles où nous avons déambulé dans le centre-ville qui était envahi par un marché d’antiquité, ma foi, plutôt impressionnant. Et j’aurais peut-être manqué de mots pour bien vous permettre de comprendre l’émotion que nous avons ressentie quand nous sommes rentrés dans cette enoteca dotée d’une immense cave à vin qui sentait la poussière, le bois humide et les vieux tanins et qui renfermait des trésors incroyables. J’aurais pu terminer le tout en vous expliquant pourquoi nous sommes passés par Pisa avant de retourner à la maison, en vous énumérant les plats exquis que nous avons savourés à l’un de nos restaurants préférés, le Repubbliche Marinare, et en vous vantant la blancheur de Pisa, son ciel bleu, ses incontournables ricciarelli… Mais je ne le ferai pas.

Je ne m’attarderai pas davantage sur chacun de ces éléments pourtant fort intéressants car, moi, ce n’est pas ce qui a retenu mon attention. Ce qui m’est resté de ce week-end n’a rien à voir avec des monuments moyen-âgeux, des repas divins, des lieux surprenants, des promenades bucoliques. Le souvenir le plus puissant que je garde de cette escapade en Toscane n’est pas tant lié avec l’endroit lui-même qu’avec la manière dont je m’y suis sentie. Lors de ce week-end, j’ai réalisé que j’étais foutrement amoureuse.

F. semble parfois tenir ici le rôle de simple abréviation – une lettre suivie d’un point. Il apparaît dans plusieurs de mes aventures comme un personnage secondaire, pourtant, il représente tellement plus que cela. F. est le centre de ma vie. Je ne ressens pas toujours le besoin de parler de lui, de spécifier qu’il est là, avec moi, car cela va de soi dans ma tête qu’il est présent. Je ne m’imagine pas faire toutes ces choses sans lui. Les événements importants, c’est avec F. que je les vis. Il m’accompagne, me soutient, me fait rire, me déçoit parfois, parce qu’il est humain, mais il sait si bien se racheter. F. est mon mari. Parfois, je n’arrive pas à le réaliser. Je suis mariée. Ça me fait encore drôle à dire. Pourtant, ça ne pourrait pas être autrement pour moi. Me marier avec lui fut la plus belle folie que j’ai faite dans ma vie. Nous avons décidé ça très vite, après à peine dix mois de fréquentation, mais cela nous apparaissait comme l’unique chose à faire. Une certitude dans le creux du ventre, une voix qui nous murmurait : n’ayez pas peur. Avec F., je n’ai peur de rien. Ensemble, nous pouvons tout faire. Le monde nous appartient et l’impossible n’est qu’une étoile lointaine à peine observable les soirs de ciel dégagé.

Je ne sais pas ce qu’est l’amour pour les autres, je crois qu’il n’existe pas une seule définition de ce sentiment parfois troublant, parfois salvateur, parfois déchirant, parfois réparateur. Mais pour moi, l’amour, c’est F. Il est mon confident, mon amant, mon meilleur ami, celui qui me connaît le plus sur cette terre, probablement même plus que ma mère ; il est celui avec qui j’aime aller au cinéma, magasiner, marcher en forêt, visiter des musées, planifier des voyages, me perdre, faire des tours de bagnole, du jogging, des gâteaux ; il est l’homme du présent et du futur, celui avec qui l’avenir devient envisageable, avec qui je conçois mille projets irréalisables et mille autres que nous mènerons à terme, ensemble, toujours, parce qu’à deux, nous savons que pouvons accomplir de grandes choses. La prochaine étant, nous l’espérons, de faire des enfants. J’espère qu’ils auront sa patience, sa sensibilité, ses oreilles, son menton, son endurance, son ouverture d’esprit, sa beauté intérieure.

Lucca, pour moi, se résumera toujours à cela : la ville où je suis tombée amoureuse de mon chum pour une deuxième fois. Et celle où je me suis dit que Luca, ça ferait un joli nom pour un petit garçon.  

mardi 18 octobre 2011

Le bonheur est un hasard


J’adore la Toscane. Ça tombe bien, c’est la région située juste en dessous de mon Émilie-Romagne adoptive. Suffit de traverser quelques montagnes et on arrive à Florence. C’est là que je me suis retrouvée jeudi dernier, un peu à l’improviste. Je m’y suis rendue afin de rencontrer une de mes amies qui faisait un passage éclair en Italie. Je ne devais la rejoindre qu’en fin d’après-midi, alors j’en ai profité pour déambuler seule, au hasard, dans cette magnifique ville que je n’avais pas revue depuis mon séjour en 2002. À vrai dire, c’était la première fois que je remettais les pieds dans une ville italienne que j’avais déjà visitée lors de mon premier séjour italien, puisque jusqu’ici j’avais toujours préféré des destinations toutes nouvelles. Que d’émotions cela a-t-il provoqué en moi, de me retrouver en quelque sorte catapultée dans le passé.

J’avais un souvenir très flou de la belle Florence, or, quand je suis débarquée du train, tout m’est revenu. La cattedrale Santa Maria del Fiore, immense à en donner des frissons, la réplique du David sur la piazza della Signora où, à l’époque, J. et moi nous étions amusées à jouer avec la perspective et le zizi du grand adonis blanc ; le baroque ponte vecchio, où sont amalgamées des dizaines de petites cabanes colorées, aujourd’hui occupées par des marchands de bijoux n’en ayant que pour l’argent des touristes ; la vue splendide qu’offrent les environs de San Miniato al Monte. Je ne suis rentrée dans aucun musée, me suis contentée de m’imbiber de l’ambiance de ce joyau de la renaissance qu’est Firenze. De plus en plus, je préfère voyager ainsi : marcher, seulement marcher, au cœur de cités inconnues dont les murs, les ruelles, les marchés et les passants ont tant à nous dire.

Au terme de ma promenade, j’ai rejoint ma copine ainsi que quelques autres Québécois qui l’accompagnaient à la piazzale Michelangelo. Deux d’entre eux ont décidé de nous suivre pour aller prendre un verre dans le sympathique quartier San Frediano. Nous nous sommes retrouvés au Volume, un endroit très accueillant, un peu hipster, mais somme toute agréable. Comme j’étais l’italienne de service, c’est moi qui aie commandé nos verres, pour finalement me rendre compte que le serveur était Français ; il allait donc falloir surveiller ce qu’on disait ! Il était si bon d’être entourée de gens qui parlaient ma langue, de pouvoir dire tout ce qui me traversait l’esprit sans avoir à réfléchir pendant cinq minutes à la manière dont je devais formuler ma phrase, de faire des blagues, d’être moi-même, quoi. Je ne m’en rends plus trop compte au quotidien, mais cela me pèse parfois de vivre dans la langue de quelqu’un d’autre. Mon italien s’améliore constamment, il devient toujours de plus en plus facile de communiquer, mais ce n’est jamais comme communiquer en français. Bref, après trois mois de vie à l’étranger (eh oui, déjà trois mois, aujourd’hui même), cette petite pause québécoise m’a fait le plus grand bien.

Après l’apéro, nous avons cherché un restaurant où l’on pourrait manger de la cuisine typiquement toscane et continuer de boire du bon vin. Plusieurs endroits étaient soient peu invitants, soit trop chers, soit complets. Nous nous sommes finalement ramassés dans un lieu à la décoration colorée et au personnel ma foi fort sympathique. J’ignore si leur gentillesse était due au fait que je m’adressais à eux en italien, mais je n’ai jamais eu droit à un accueil aussi chaleureux en Italie ! Honnêtement, les Italiens ne sont pas toujours les plus aimables, mais là, nous avons eu droit à la totale. Alors qu’ils répondaient à d’autres clients qu’il n’y aurait pas de place avant 22 heures, à nous, ils nous ont offert une table en moins de 15 minutes. Nous avons attendu dehors, car les lieux étaient plutôt exigus. À un certain moment, quand j’ai vu qu’ils reviraient d’autres gens de bord, je suis retournée en dedans leur demander si j’avais bien compris et que nous aurions bel et bien une place ; ils m’ont assurée que oui et m’ont demandé si on voulait boire un verre de vin en attendant. Sur le bras. Pourquoi pas ! Bianco ? D’accord ! Nous avons siroté notre verre de blanc assis sur le trottoir de cette ruelle étroite, en manquant de nous faire écraser les orteils par les voitures qui roulaient trop vite. La vie sait parfois être magique.

À la fin du repas, avant que nous ne quittions, le serveur et l’homme à l’accueil nous ont serré la main et nous ont affirmé avec emphase que cela avait été un grand plaisir de nous servir. Sérieusement, je pense qu’ils nous prenaient pour des gens que nous n’étions pas, car leur dévotion et leur politesse étaient quasiment exagérées. Soit, cela n’était pas désagréable, bien au contraire ! Après les poignées de main, nous avons dû nous dépêcher un peu puisque mes acolytes devaient retourner à Montecatini et le dernier train pouvant les y porter partait à 22h08. Je les ai donc accompagnés à la gare pour ensuite me retrouver seule au centre-ville de Florence. Exténuée de ma journée, j’ai voulu prendre l’autobus menant à l’auberge de jeunesse où j’avais réservé un lit, pour me rendre compte que celui-ci ne passait pas après 22 heures. Un peu ridicule, quand on pense que c’est là l’unique façon de se rendre à l’auberge à part le taxi et que la plupart des gens qui choisissent de résider à cet endroit n’ont pas 15 euros à mettre sur un taxi, mais qu’à cela ne tienne, je n’avais ni la force ni le courage de marcher 5 kilomètres à la noirceur dans les rues d’une ville étrangère. J’ai donc payé les fameux 15 euros – tu vois maman, je suis sage des fois. Sage, mais plus aussi fougueuse qu’avant. Je ne pourrais plus parcourir l’Europe pendant trois mois avec seulement 3000$, comme je l’ai fait à l’époque…

Arrivée à l’auberge, une fois de plus, des tonnes de souvenirs sont remontées en moi. Probablement me trompé-je, mais j’ai eu l’impression d’être dans la même chambre que  lors de mon premier passage en cet endroit, il y a neuf ans. Or, cette fois, j’étais seule dans le dortoir de quatre personnes. J’aurais dû bien dormir, mais il n’en fut rien. Chargée d’adrénaline et dérangée par les voix qui hantaient le corridor, je ne suis pas parvenue à fermer l’œil avant 2 heures. Ma nuit fut ponctuée de sursauts provoqués par de violents claquements dont j’ignorais la provenance. Au petit matin, cernée, j’ai découvert que c’est le vent qui faisait battre les volets de l’édifice, bruit que l’écho des murs de cet immense manoir transformé en gîte pour jeunes fauchés s’amusait à amplifier. J’ai déjeuné, en me demandant comment je faisais jadis pour me contenter de ce pain sec et de ce mauvais café comme premier repas – et souvent comme deuxième, puisque nous dérobions des tranches de pain et des confitures supplémentaires pour nous confectionner des dîners peu dispendieux. Décidément, mes critères de voyageuse et ma tolérance à l’inconfort et aux repas insipides ne sont plus les mêmes.

J’ai payé ma nuit blanche, fait mon sac et je suis partie. Postée à l’arrêt d’autobus, d’autres réminiscences se sont cristallisées devant mes yeux nostalgiques. La dernière fois où j’avais attendu à cet arrêt, J. et moi étions nerveuses. Nous fuyions. Nous avions hâte que l’autobus nous emporte loin de Maxime, ce Québécois que nous avions rencontré à Reims, une semaine plus tôt, et qui nous suivait partout depuis. Nous n’en pouvions plus de lui, de son arrogance, de ses manières maladroites. Nous étions parties de l’auberge sans l’avertir, dans l’espoir de le semer. Ça avait fonctionné. Temporairement. Environ deux semaines plus tard, il nous avait retrouvées. En plein cœur d’Athènes. Une coïncidence. Tous les hasards ne sont pas heureux.

Moi, cependant, assise sur ce banc à attendre l’autobus numero undici, heureuse, je l’étais. 

mardi 11 octobre 2011

De la vie, à la fin, ce qu'il reste


Dimanche, pour la deuxième fois de ma vie, j’ai célébré mon anniversaire en Italie. La première fois, c’était en 2002, lorsque j’ai eu 19 ans. J’étais partie avec J., une copine du Cégep, et mon sac à dos, pour trois mois autour de l’Europe. Le 9 octobre de cette année-là, nous étions à Rome. J’ai passé l’après-midi de mon anniversaire à attendre en face de la basilique Saint-Pierre. Nous avions prévu visiter la célèbre église, or, elle avait été fermée pendant plusieurs heures en raison de la célébration d’un mariage collectif présidé par le pape lui-même. C’était encore l’époque du sympathique Jean-Paul II. Il n’était pas fort, mais toujours vivant. Avachi sur son siège de velours rouge, il murmurait la parole de Dieu en italien, en français, en latin et dans je ne sais plus quelle langue, devant des milliers de personnes, dont plusieurs centaines en robe et en costume de mariés.

À la fin de ce spectacle particulièrement étrange, nous avions pu pénétrer à l’intérieur de la fameuse Saint-Pierre de Rome. De l’immense Saint-Pierre de Rome. Après, nous avions voulu aller à la Chapelle Sixtine, cependant, pour une raison qui m’échappe encore, celle-ci fermait à 14h20. Pas 14h30 : 14h20. Ça doit être l’heure d’une prière que je ne connais pas. Nous avions donc terminé cette journée sans voir la fresque de Michelangelo. Pour nous consoler et pour me gâter, puisque c’était mon anniversaire après tout, J. avait décidé de nous payer du McDonald’s pour souper. Nous étions allées à celui de la stazione Roma Termini, si je me souviens bien. Pourtant, il ne me semble pas que nous avions un train à prendre après. Les gares sont tout simplement le lieu où les âmes perdues finissent par aboutir, lorsqu’elles ignorent où aller pour trouver le réconfort. Et nous l’y avons trouvé, le réconfort. Le luxe. Quand on voyage avec un budget total de 25$ par jour et qu’on doit, avec ces 25$, payer sa nourriture, son lit et ses activités touristiques, un trio McDo, c’est vraiment une faste dépense. Je mange dans ce genre de resto environ une fois par année ; cette fois-là était certainement la meilleure de ma vie. Mon Big Mac avait un goût assurément cent fois plus délicieux qu’à l’habitude.

Ces souvenirs sont parmi ceux que je chéris le plus. J’ai l’impression qu’ils m’ont forgée, en quelque sorte, qu’ils ont largement influencé la suite de mon existence.

Immanquablement, lorsqu’octobre approche et que je m’apprête à ajouter une année de plus à mon calendrier, le passé remonte en moi. Au-delà de la nostalgie, c’est une sorte de désir de comprendre – qui je suis et pourquoi – qui m’habite et me force à revoir certains événements, à les analyser avec une perspective nouvelle – celle de la sagesse que je gagne, du moins je l’espère, un peu chaque année. J’aime bien faire des bilans, penser à tout ce que j’ai accompli au cours de l’année qui s’achève, à tous les malheurs qui me sont arrivés, à tous les obstacles que je suis parvenue à contourner, à tous ces bonheurs qui sont venus illuminer ma voie. Ça me réconcilie avec le non-sens de la vie. Soudainement, elle m’apparaît moins absurde. À la fin, de la vie, je ne retiens que de belles choses. Même celles qui, au moment où elles se sont abattues sur moi, m’ont terriblement faite souffrir m’apparaissent importantes, salutaires, avec le recul. J’éprouve une satisfaction certaine, voire une fierté, à penser aux épreuves surmontées, aux erreurs évitées, aux maladresses pardonnées, à tout ce qui fut ardu, lourd, déchirant, mais qui, en bout de ligne, ce sera avéré formateur, nécessaire.

Alors, le bilan de mes 27 ans, de quoi a-t-il l’air ? L’automne de ma 28e année fut certainement l’un des pires de ma vie – mon chum et moi étions dans une impasse : après des mois de chômage, il a eu affaire à un employeur irrespectueux pour qui il accomplissait un travail sous-payé et dénué de défi, tandis que moi, je ne parvenais pas à trouver quelle était ma voie (ce problème demeure, mais je le vis avec beaucoup moins d’angoisse), j’accumulais les petits contrats insignifiants et j’ai dû accuser un refus par rapport à une demande de bourse dans laquelle j’avais placé beaucoup d’espoir. Décembre fut certainement l’apogée de mon abattement et celui-ci s’exprimait physiquement – problèmes de foie, brûlements d’estomac, fatigue insurmontable.

En janvier, F. et moi avons décidé de nous reprendre en main. Nous n’avons pas bu une goutte d’alcool de tout le mois, nous avons fait un régime jusqu’en mars, nous nous sommes inscrits dans un club de boxe, où nous allions chaque semaine, en plus de faire du jogging, du patin à glace et de longues marches. J’ai perdu du poids, je me sentais bien, j’avais l’impression que mon corps et ma vie m’appartenaient à nouveau.

Le 14 février 2011, F. moi, avons célébré la Saint-Valentin vêtus de pantalons de jogging et de t-shirts trop grands, en buvant du champagne et en mangeant de mignons péchés. C’est ce soir-là que nous avons décidé que nous déménagerions en Italie.

Pleine d’une énergie nouvelle, en mars, j’ai lancé mon premier roman. Celui-ci a reçu un chaleureux accueil, ce qui m’a évidemment comblée. Le printemps fut dédié à la promotion de mon livre et à la préparation de notre départ. À la mise en boîte de notre vie. Nous avons jeté, donné, enterré, recyclé des dizaines et des dizaines d’objets devenus inutiles et encombrants. Le reste, nous l’avons placé dans des cartons, qui dorment maintenant dans l’entretoit du garage de mon père.

Le 14 juillet, six mois jour pour jour après en avoir pris la décision, nous sommes partis.

La suite, vous la connaissez. Vous savez entre autres qu’en août, j’ai fêté mon premier anniversaire de mariage et que j’ai su que j’avais obtenu une bourse pour l’écriture de mon second opus. Voilà à quoi a ressemblé la dernière année. Elle a affreusement mal commencé et s’est terminée d’une manière exceptionnellement surprenante.

Et la première journée de mes 28 ans, elle, de quoi a-t-elle eu l’air ? De rien. J’osai espérer qu’elle n’était pas à l’image des 364 qui la suivraient, car elle fut plutôt décevante – comme le sont pas mal toutes mes journées d’anniversaire. Plus je vieillis, plus je déteste le 9 octobre. Chaque année, c’est immanquable, je pleure cette journée-là (il faut dire que je suis braillarde, alors ce n’est pas un fait si extraordinaire, mais tout de même). Le jour de ma fête finit toujours dans l’amertume – cette sensation d’être seule, oubliée, importante pour personne. Je souhaite tellement que cette journée soit différente des autres, spéciale, remplie de surprises, étonnante, que je ne peux faire autrement que de trouver qu’elle n’a pas été à la hauteur.

Cette année, le 9 octobre fut décevant entre autres parce que la sortie au restaurant qui était prévue par mes généreux beaux-parents pour célébrer ce fameux anniversaire fut gâchée par un service lamentablement lent. Il s’est écoulé tellement de temps entre le moment où nous avons terminé notre entrée et celui où l’on a enfin pensé à nous amener notre plat principal que nous n’avions plus faim. J’ai laissé la moitié de mon assiette. Je n’ai pris ni dessert ni café. Un repas d’anniversaire pas de dessert, c’est un peu triste.

Au-delà de ce léger contretemps, il y avait surtout le fait que ma famille et mes amis me manquaient. Tous ces « Bonne fête » qui fusaient sur mon babillard Facebook n’arrivaient pas à remplacer la présence des gens qui me sont chers. Je me sentais plus loin qu’à l’habitude. Pourtant, je n’étais pas plus loin. Seulement un peu plus vieille. 

jeudi 6 octobre 2011

Comme les enfants les papillons


Tenir ce blogue m’oblige à regarder ma vie avec un œil différent, à me demander constamment « qu’est-ce qui vaut la peine d’être raconté ? ». En tant qu’écrivaine, c’est une question assez fondamentale à laquelle je suis souvent confrontée, mais le fait de me la poser par rapport à ma propre existence demeure plutôt inusité. Je n’ai jamais vraiment versé dans l’autofiction ou le journal intime. Décrire ce qui m’est réellement arrivé plutôt que d’inventer ce qui pourrait se passer dans les jours de quelqu’un qui n’existe pas – et qui est encore moins moi –, cela n’avait jamais fait partie de ma démarche. J’avouerai que cette posture jusqu’ici inexplorée m’éclaire beaucoup par rapport à la nature du narratif. Mes interrogations concernant ce qui, de mon existence, pourrait retenir votre attention me poussent parallèlement à réfléchir à ce qui mérite d’être dit ou non dans mes fictions.

Je me rends compte que peu de choses ne méritent pas d’être transformées en histoires. Le défi demeure toujours, simplement, de trouver une manière intéressante de les mettre en scène. Est-ce que j’y parviens toujours, je n’en suis pas convaincue. Mais reste que je m’aperçois que ce qui me fascine le plus dans un récit, ce sont les détails. Ce que nous avons mangé, le nom des gens, un trait physique qui nous permet tout de suite de comprendre à qui nous avons affaire, l’angle de la lumière, la manière dont un mot a été prononcé. Parce que c’est ça la vie, finalement : un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé – rêves, souvenirs, désirs, avenir fantasmé –, finit par trouver un sens. 

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être pour m’excuser de m’attarder parfois un peu trop sur des choses qui pourraient vous apparaître futiles. Peut-être pour justifier le fait que ce que je vous rapporte ici, ce sont rarement de grandes épopées, d’incroyables aventures, mais plutôt des anecdotes banales, des intrigues peu intrigantes, quoi. Or, ce que vous devez justement savoir, c’est que la vie, ici ou ailleurs, chez soi ou en terrain inconnu, ne reste jamais que la vie – un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé, etc., etc.

Partir du Québec en pensant trouver en Italie une existence à chaque seconde plus excitante, un quotidien moins routinier, des joies plus extraordinaires, des déceptions moins dérangeantes, cela aurait été une erreur. Je ne suis pas partie en voyage ; je suis partie vivre ailleurs. Et du moment que l’on choisit de se poser quelque part, de se construire quelque chose qui ressemble à une maison et d’y élire domicile pour une période de temps donnée, immanquablement, on doit s’attendre à redevenir peu à peu soi-même, à reprendre ses vieilles habitudes, à s’enfoncer dans les mêmes désespoirs, à chercher, encore, toujours, des manières d’améliorer son sort, à faire, à l’infini, des projets pour ce futur qui nous angoisse.

On a vu cette chaise dans la vitrine d’un grand magasin. Rouge. Un coussin moelleux, des appuis-bras solides. Elle avait l’air parfaite. On se l’est procuré en étant convaincu qu’enfin, on serait confortable, qu’enfin, on pourrait se concentrer sur ce qui compte vraiment, travailler à inventer notre bonheur sans être constamment gêné par l’inconfort de l’autre chaise, celle qu’on traînait depuis déjà trop longtemps, celle qui ne nous seyait plus. Une fois le siège tout neuf installé dans notre demeure, on l’observe, on s’extasie, on soupire de joie – la nouveauté est toujours si enivrante. On s’assoit. On attend. On sourit. Puis, un peu moins. Il faut se mettre à la tâche maintenant. C’est bien beau avoir un nouveau trône sur lequel poser ses fesses, celui-ci ne prendra pas nos responsabilités à notre place. Les jours passent. Les tissus de la chaise se détendent, la mousse ramollit, prend peu à peu la forme de nos cuisses, de notre dos. Celui-ci se courbe, comme avant, pliant sous la charge trop lourde des pensées qui nous obnubilent. Nos jambes s’engourdissent. Pourtant, le vendeur nous avait promis qu’avec cette chaise, notre position s’améliorerait, que plus jamais on ne souffrirait des maux anciens.

La vérité, c’est qu’une fois que la nouvelle chaise a épousé les courbes de notre corps, une fois que ce dernier s’est adapté au changement, la sensation de bien-être des premiers jours s’effrite. Lentement, l’inspiration, la fraîcheur et l’exotisme font place à l’habitude, aux réflexes, à la lassitude. De nouveau, on ressent ce besoin pressant de transformation, de surprise, d’égarement, d’ailleurs. Le bonheur n’est pas destination, mais horizon. Incessamment, il fuit les doigts qui tentent de l’attraper comme des enfants les papillons.

Ne vous méprenez pas, je suis heureuse en Italie. Ni plus ni moins que je l’étais à Montréal. Heureuse point. Comme seul il est possible de l’être : par intermittences.