mercredi 30 novembre 2011

Cette saison n'est pas l'hiver


Dernier jour de novembre. La folie du temps des Fêtes débutera bientôt. Mes beaux-parents, qui possèdent chacun un commerce, travailleront sept jours sur sept d’ici au 24 décembre afin de satisfaire les envies de surconsommation des clients les plus exigeants. Pour ma part, je n’ai jamais senti Noël aussi loin, aussi flou, aussi improbable.

Pour moi, Noël qui approche, c’est la première neige, la rue Sainte-Catherine envahie par la slush et les passants qui se traînent les bottes et qui se plaignent qu’il fait trop chaud dans les souterrains du métro ; Noël, c’est les décoration chez Simons, les promenades sur l’avenue Mont-Royal, un arrêt au Première Moisson pour prendre un chocolat chaud et un dessert trop cochon, l’odeur des clémentines mélangée à celle du sapin fraîchement récolté au Marché Jean-Talon, mes chats qui jouent avec les guirlandes, les films à Télé-Québec, un voyage en train jusque chez mes parents à Québec, une soirée de jeux et de rires avec mes sœurs, mon frère, mes parents, mon neveu, des journées complètes en pyjama à regarder la télé chez ma mère, un long bain chaud, lire un livre pendant qu’il fait tempête dehors et, le lendemain, aller faire de la raquette dans le bois ou patiner à l’anneau de glace du quartier. Ici, il n’y a rien de tout cela.

La neige est remplacée par le brouillard et l’humidité. Moi, la Canadienne, celle qui vient du Nord, qui a connu les moins quarante degrés Celsius, je passe mon temps à dire que j’ai froid. Le thermomètre italien a beau afficher une température extérieur de cinq degrés, je grelotte, car l’humidité perce la peau, pénètre tous les tissus et enrobe les os. Je passe mes journées avec une doudou sur le dos à rêver du froid de chez nous, blanc et sec.  

Mis à part rêver au vrai hiver, j’avoue ne pas faire grand-chose. Je n’ai pas envie d’écrire par les temps qui courent. Ce n’est pas pour rien que la semaine dernière, pour la première fois depuis que je suis partie, je n’ai pas nourri ce blogue. Mon ordinateur me rebute. Mon corps refuse de rester assis des heures devant l’écran. Non pas que je n’aie plus d’idées, seulement, celles que je possède voudraient pouvoir s’exprimer de manière plus physique, concrète, humaine. En ce moment, les mots ne me suffisent pas. J’ai besoin d’images, de gestes, de touchers, de couleurs, de sueur. Loin de moi l’idée d’abandonner l’écriture. Je désirerais simplement compléter l’écriture, lui trouver une compagne, un autre mode d’expression qui pourrait combler en moi les envies que la littérature ne parvient pas à assouvir. J’ai des fantasmes de théâtre, de bricolage, de peinture, de découpage, de photographie, de danse.

Au beau milieu d’un décor hivernal, bordé de blanc et de branches mortes, une immense scène, sur laquelle se tient une jeune femme rousse, habillée de violet et d’orangé. Elle parle, elle gesticule, déambule, avance, recule, s’adresse à une foule qui n’existe pas. Car cette saison n’est pas l’hiver. 



jeudi 17 novembre 2011

La méthode italienne - une longue et lente agonie


Hier, un peu plus de deux mois après m’être inscrite à mes cours de conduite, je suis finalement allée passer mon examen théorique. J’aurais bien aimé y aller avant, mais l’administration italienne ne voulait pas. Autant elle a été très rapide et efficace quand il a fallu me délivrer un permis de séjour, une carte d’assurance maladie et une carte d’identité, autant elle a pris son temps en maudit pour me permettre de passer ce foutu examen.

Jamais je n’ai vu autant de « tempi tecnici » (délais) inutiles pour une chose aussi simple. Premièrement, j’ai dû me taper six semaines de cours théoriques. Et quand je dis six semaines, c’est six semaines, soit une heure de cours tous les jours, du lundi au vendredi. En fait, c’est seulement six heures de cours obligatoires de plus qu’au Québec, seulement, ces cours sont concentrés au tout début, au lieu d’être étendus sur plusieurs mois. Je dois aussi avouer qu’un des avantages majeurs de prendre mon permis ici, c’est que je n’aurai pas besoin d’attendre dix mois avant de faire mon examen pratique et d’obtenir mon permis : dès que je me sentirai prête, je pourrai le faire. Bref, je chiale, je chiale, mais reste que ce n’est pas nécessairement mieux chez nous. Tout de même, laissez-moi le plaisir de me plaindre encore un peu…

Après m’être tapé les fameuses six semaines de cours, je croyais être bonne pour pouvoir aller passer l’examen théorique directement ; je me mettais la main dans l’œil. J’ai dû passer non pas une, mais bien deux visites médicales. Auparavant, une seule était nécessaire, mais depuis janvier 2011, les règles appliquées pour l’obtention d’un permis de conduire et concernant la conduite des nouveaux conducteurs ont été énormément resserrées. Ils ont entre autres cru bon d’obliger les gens à aller visiter leur médecin de famille afin de lui faire signer une feuille attestant qu’ils n’ont ni problèmes cardiaques, ni problèmes d’épilepsie, ni je ne sais plus quoi. J’ai la chance d’avoir un médecin de famille ici, mais c’était tout de même un peu ridicule de la payer 35 euros pour qu’elle signe cette feuille, car quand je suis rentrée dans son bureau, c’était la première fois qu’elle me voyait de sa vie, alors qu’en savait-elle, elle, si je faisais de l’épilepsie, des crises de nerfs, de l’acné pubien ou des crises cardiaques à répétition?! Elle a empoché mon 35 euros sans chigner et m’a cru sur parole quand je lui ai dit que j’étais en pleine forme.

Le deuxième examen, c’était encore plus ridicule. Auparavant, il n’y avait que celui-ci qui existait. Il s’agit en fait d’aller voir le dottore trentaquattro (le « docteur trente-quatre », qui doit son nom au fait qu’il en coûte 34 euros pour le voir) qui doit confirmer si oui ou non nous avons besoin de lunettes ou de lentilles de contact pour conduire. Auparavant, il évaluait aussi la santé globale du patient en lui posant deux-trois questions débiles, mais puisque maintenant c’est le médecin de famille qui se charge de cette partie, lui, tout ce qu’il a eu à faire, c’est me demander quelle était la force de mes verres (observateur qu’il était, il a remarqué que j’en portais) pour ensuite me faire lire des lettres sur un carton blanc et confirmer que je voyais un minimum de ce qui se passait autour de moi avec mes lunettes. La visite a duré une minute. Suivant ! Sérieux, je veux la job de ce mec : aller m’asseoir tous les vendredis soirs pendant deux heures dans un petit bureau et voir une trentaine de patients pour leur signer une feuille sur laquelle j’inscris les informations qu’eux-mêmes me donnent. Même pas besoin de vérifier quoi que ce soit, juste d’encaisser les 34 euros par personne et de m’en aller me payer une belle soirée au bar après. Trente personnes fois 34 euros, ça fait 1000 euros en deux heures ça… Après ça les Italiens se demandent pourquoi l’économie de leur pays est en crise.

Après avoir payé un total de 70 euros pour me faire dire que j’avais l’air en santé, je croyais en être quitte pour enfin aller faire l’examen : autre bras dans l’œil. Je me suis rendue à l’école de conduite, où l’on m’a dit qu’il devait d’abord faire venir mon foglio rosa (« la feuille rose », soit le petit nom d’amour donné au permis de conduire ici) et que cela allait prendre une semaine. Après ce nouveau tempo tecnico, je n’avais qu’à me présenter de nouveau à l’école pour prendre mon rendez-vous pour l’examen – pas pour le faire, quand même, vous exagérez là, ça aurait été trop facile.

J’ai été patiente et, sept jours plus tard, je me suis présentée comme convenu à l’école. Joie ! mon foglio rosa était bel et bien arrivé, mon dossier n’avait rencontré aucun problème (j’aurais tué quelqu’un si ça avait été le cas) ; je pouvais donc prendre mon rendez-vous. La dame m’a demandé quand je voulais faire mon examen, me spécifiant que ça n’allait pas avant la semaine du 14 au 19 novembre (on était quelque chose comme le 3 novembre). Bon, ben pas trop le choix alors, prenons cette semaine, si c’est ce que vous avez de plus rapide, criss (des fois, je l’avoue, je sacre en français, personne ne comprend, on continue de me regarder avec le sourire sans savoir que je viens de dire un gros mot et moi, ça me défoule). La dame derrière le comptoir m’a spécifié qu’elle ne connaissait pas encore la date exacte de l’examen et que je devrais passer (ennnnccccccoooorrrrreeeeeee) à l’école le jeudi suivant pour voir quel jour précisément le test avait lieu. Une longue et lente agonie, voilà ce que c’est, vouloir prendre son permis de conduire en Italie.

L’examen auquel j’étais inscrite avait lieu mercredi le 16 novembre. Hier. Je ne pouvais pas le croire. Mardi, j’ai révisé un peu, histoire de ne pas me planter le lendemain et de ne pas avoir à repasser au travers d’une partie de cet interminable processus et, pis encore, de payer de multiples fois les 80 euros exigés pour faire l’examen.

Hier, je me suis présentée à 7h45 à l’école de conduite. Les dix élèves (pour la plupart des prépubères, évidemment, j’avais l’air d’une matante à côté d’eux) inscrits à l’examen devaient se retrouver à cet endroit afin qu’on nous emmène à Modena, qui est à environ 25 minutes de Carpi, où est situé le siège de la Motorizzazione civile (l’équivalent de notre SAAQ) et où se déroulent les examens de tous les habitants de la province de Modena.

Nous sommes évidemment partis un peu en retard et il y avait évidemment du trafic sur la route, donc nous sommes arrivés vers 8h50 à Modena. Cela ne changeait pas grand-chose puisque la salle d’examens était déjà occupée par un autre groupe de jeunes. Nous avons donc attendu que ceux-ci terminent leur examen (30 minutes maximum sont allouées pour le compléter), qu’ils reçoivent leurs résultats, qu’ils libèrent l’espace et qu’on appelle les membres de notre groupe un par un. Je crois qu’on a finalement débuté l’examen vers 10h.

Avant de commencer, l’esaminatore, une dame affreusement bête, sèche et amère (une fonctionnaire, quoi) nous a expliqué la procédure et les règlements – surprise, nous n’avions ni le droit de parler entre nous ni celui de regarder dans nos livres. Elle nous a demandé de nous rendre à une certaine page sur l’ordinateur et elle voyait sur son écran que l’un d’entre nous n’y était pas encore. Elle a demandé « Qui ne voit pas cette page sur son écran ? » Silence dans la salle. Elle a répété sa question trois fois, toujours en levant un peu plus le ton, pour finir par gueuler « C’est quoi, va falloir que je fasse le tour des ordis pour voir qui n’est pas sur la bonne page ? » Un gars a finalement compris que c’était lui qui était dans l’erreur. Avec tendresse et compréhension, elle lui a lancé un « Coup donc, tu comprends-tu l’italien, toé ?! » Malaise. Elle a amené le jeune sur la bonne page puis a continué ses longues et inutiles explications. À un certain moment, une jeune fille au fond de la classe a poussé un soupir, qui me semblait être un soupir de stress beaucoup plus qu’un soupir d’ennui, mais l’hystérique l’a pris personnel et s’est mise à l’engueuler « Je vous rappelle, les jeunes, que vous êtes ici par votre propre volonté. Si vous êtes pas contents, allez-vous en, y’a personne qui vous force. » Euh, oui madame, en fait, y’a le gouvernement qui nous force, on n’a pas vraiment le choix de le faire cet examen de marde, alors pouvez-vous vous calmer le pompon et nous laisser le faire en paix?!

Pendant que l’autre folle s’énarvait le poil des d’sous d’bras, sur mon écran, la page de l’examen est apparue par elle-même. Je voyais le compteur descendre tranquillement. 29 :59, 29 :58, 29 :57… Et l’autre qui ne cessait de jacasser et de nous envoyer chier. Avoir été plus sûre de moi en italien, je lui aurais probablement dit que l’examen avait commencé et que j’aurais apprécié qu’elle me laisse l’effectuer dans le silence, mais c’est probablement une bonne chose que j’aie manqué de confiance en moi à ce moment, car je me serais sûrement fait expulser de la salle.

J’ai fini par faire mon examen. En italien. J’aurais pu demander à le faire en français, car dans certaines régions du Nord de l’Italie le français est une langue officielle, tout comme l’allemand, donc il est possible de faire l’examen dans une de ces deux langues, mais je considérais que cela aurait été encore plus difficile, puisque j’avais tout étudié en italien et que je ne connaissais pas nécessairement les termes techniques dans ma propre langue. Je n’ai pas eu droit aux questions les plus difficiles, heureusement. J’ai quitté la salle après une quinzaine de minutes.

Ici, ce n’est pas comme au Québec, on ne sait pas au fur et à mesure si on a bien répondu ou non et le résultat ne nous apparaît pas à l’écran tout de suite après avoir fini. Une longue et lente agonie, je vous dis. Nous avons dû attendre que tout le monde termine son test et sorte de la classe. À ce moment seulement, la fonctionnaire qui ne se fait pas baiser assez souvent par son mari moustachu a pu imprimer les résultats. Elle nous a alors rappelés dans la salle et elle a dit le nom de tous les élèves à voix haute, en précisant qui avait réussi ou non. De quoi faire honte à ceux qui étaient venus faire le test entre amis… Mon nom imprononçable était à la fin, évidemment – Véréhaoult, qui disent, les Italiens. Heureusement, il était suivi de la mention réussite. La majorité l’ont passé, sauf deux ou trois garçons je crois – les vilains, ils n’avaient pas suffisamment étudié.

Une bonne affaire de faite. Maintenant, ne nous restait plus qu’à retourner à Carpi célébrer notre victoire. Or, le responsable de l’école de conduite qui nous avait amenés à Modena était introuvable. Nous ne savions pas ce que nous étions censés faire, quelle était la suite des choses, si nous attendions après notre permis, nos résultats plus précis d’examen ou le messie. Nous avons attendu le mec pendant environ 15 minutes, ce après quoi une petite gang a décidé d’aller au bar situé une centaine de mètres plus loin pour faire la colazione. Quelle bonne idée les amis. Évidemment, le mec est réapparu 5 minutes après qu’ils soient partis. On lui a dit que les autres étaient au bar, il a répondu « Pas de trouble, on part dans 10-15 minutes de toutes façons ». Lui aussi semble être allé se chercher un café. Entre temps, la gang d’ados est revenue. Le mec a mis plusieurs longues minutes avant de se repointer lui aussi. Et on a finalement pu partir. Il était presque onze heures. Je n’ai toujours pas compris après quoi nous avions attendu pendant tout ce temps.

Rendus à l’école de conduite de Carpi, le mec nous a faits descendre et souhaité bonne journée. Ok, mais… c’est quoi la suite, chef ?! Personne ne nous disait rien. Je ne savais pas combien de questions j’avais échouées exactement ni  lesquelles et j’ignorais quand j’aurais enfin mon permis dans ma poche. Je suis allée voir la petite secrétaire (elle et moi, on commence à être pas mal amies, on se voit toutes les semaines, ‘stie). « Alors, c’est quoi la prochaine étape ? », que je lui ai demandé. « Eh bien, il faut faire imprimer ton permis de conduire. Il devrait être prêt dans environ une semaine. Je vais t’appeler quand ça sera le cas. Après, tu pourras commencer à conduire, soit à la maison, soit avec un instructeur. » Encore une semaine d’attente. Pour faire imprimer une putain de feuille. Ça doit être de l’encre vraiment spéciale. Je croyais qu’ils l’avaient fait venir il y a deux semaines, mon foglio rosa ! Ça devait juste être un « Spécimen ». F. dit que c’est parce qu’ils doivent faire venir la chose de Modena. Oui, mais moi, j’y étais 30 minutes plus tôt, à Modena, à poireauter comme une belle dinde tandis qu’il ne se passait rien du tout, j’aurais pu le faire imprimer mon calvâsse de permis de conduire et on aurait été quittes, batinse. Non, ça aurait été trop rapide. Trop simple. Ici, ça doit prendre 4 heures faire un examen qui dure en fait 15 minutes. Et dire que lorsque je pourrai finalement conduire, pendant les trois premières années, je ne pourrai pas dépasser les 100 km/h sur l’autoroute, alors que la limite est de 130 km/h pour les autres – une autre des règles qui a été resserrée en janvier 2011. Une longue et lente agonie.

En Italie, les choses doivent être compliquées, sinon, elles ne sont pas italiennes. 


samedi 12 novembre 2011

Silence radio


Cette semaine, pour la première fois depuis que je suis arrivée en Italie, je n’avais pas envie d’écrire ce blogue. Non pas parce que je n’avais rien à raconter – je ne suis jamais à cours d’histoires –, mais plutôt parce que je me suis demandé à quoi ça servait.

Ce blogue, je l’écris en partie pour moi, bien sûr ; c’est une sorte de journal de bord, un lieu de mémoire et de réflexion, qui me permet de faire le point, de mettre mon expérience en perspective. Par contre, je l’écris d’abord et avant tout pour les autres – comme à peu près tous les textes que je produis. Le journal intime ne m’intéresse pas. Si j’écris, c’est pour communiquer. Partager, faire sourire, toucher, émouvoir, questionner. Et ma plus belle récompense, c’est lorsque les gens répondent à mon appel. Qu’ils prennent la peine de réagir à mes textes, de m’exprimer ce qu’ils ont provoqué en eux, de me témoigner leur colère ou leur gratitude, leur incompréhension ou leur désaccord. Or, ici, personne ne répond jamais. Le silence radio.

Certes, les péripéties dont je fais le récit ne se prêtent pas réellement aux débats, mais tout de même, je demeure convaincue que souvent, ce que je raconte mériterait d’être contredit, approuvé, alimenté, remis en question. Ce que nul ne fait jamais. Alors à quoi bon ? Cette écriture unidirectionnelle me comble peu.

Je trouve difficile de n’avoir pratiquement jamais de nouvelles des gens que j’ai laissés derrière moi (mis à part de ma mère, qui s’est découvert une passion pour Skype, et de deux ou trois personnes, un peu plus enclines à prendre le clavier). Ma principale source d’informations, ce sont les statuts Facebook. Un peu pathétique. C’est principalement grâce à eux que je sais ce qui se passe dans la vie de mes amis. Le problème vient peut-être de Facebook lui-même, en ce sens que les gens se disent qu’ils n’ont pas besoin de m’écrire directement, puisqu’ils savent que je peux tout apprendre via leur profil. Cependant, je ne passe pas mes journées à éplucher le babillard de chacun de mes amis pour voir ce qu’il y a de nouveau dans leur vie. Se rendent à moi uniquement les nouvelles que Facebook croit bon retenir et mettre sur mon fil d’actualité. Bref, aussi bien dire que j’ignore tout de ce qui vous arrive, chers amis du Québec.

Je sais que la plupart d’entre vous ne m’écrit pas sous prétexte que son quotidien n’a rien d’intéressant, que la vie suit son cours et que les événements marquants se font rares. Mais qu’en ai-je à faire des événements marquants, moi, ce sont les détails insignifiants qui m’intéressent ! Arrêtez de penser que votre vie ne mérite pas d’être racontée. Que parce que je suis en Italie, mon existence est digne d’être mise en mots, alors que la vôtre, non. La vie italienne ne vaut pas plus que la vie québécoise.

D’autres me répondront qu’ils ne sont tout simplement pas portés vers l’écriture, que la rédaction de courriel les emmerde et qu’ils préfèrent de loin parler de vive voix. Fine. Inscrivez-vous sur Skype alors ! Si ma non technologique de mère l’a fait, vous pouvez bien le faire ! Je passe mes journées devant l’ordinateur et je n’attends que ça, être dérangée par quelqu’un qui avait envie de me dire coucou.

À notre époque, la variété et l’omniprésence des médias et des moyens de communication n’offrent plus aucune excuse aux gens qui cherchent à expliquer pourquoi ils ne donnent jamais signe de vie. Cette variété et cette omniprésence rendent également encore plus amère la déception dans le cœur de ceux qui demeurent sans nouvelles de leurs proches, car ils savent bien que ce ne sont pas les moyens de communication qui manquent. Alors que manque-t-il ? L’intérêt, probablement.

Les exilés modernes souffrent du foisonnement des modes de communication, qui met exagérément en relief le fait que la majorité du temps leur téléphone fixe et leur cellulaire restent muets, tandis que leurs nombreuses boîtes courriel et leurs boîtes aux lettres demeurent vides. Les pèlerins moyenâgeux, les nomades du désert et les soldats envoyés à l’autre bout du monde lors des multiples guerres des siècles précédents n’espéraient pas recevoir de nouvelle de qui que ce soit. Alors, lorsqu’une lettre, un télégramme ou un pigeon voyageur se présentaient à leur porte, ils ne pouvaient en éprouver que surprise et ravissement. Les attentes étant nulles, la joie était pure et intacte. Aujourd’hui, comme les expectatives sont élevées, la joie possède immanquablement un arrière-goût de tristesse.

Je suis plus que consciente que la majorité d’entre vous a autre chose à faire que de me tenir au courant du moindre mouvement survenant dans son existence, mais je ne crois pas qu’il soit si long et exigeant de taper quelques lignes sur son QWERTY et de cliquer sur « Send ».

Je ne sais pas à quoi je m’attendais exactement. Je me doutais bien qu’en m’exilant, j’allais perdre le fil et me déconnecter des personnes dont je partageais préalablement le quotidien, mais je pense que je n’avais pas réalisé à quel point je trouverais ça difficile d’être ainsi exclue de ces vies qui auparavant faisaient partie de la mienne. Je ne suis pas fâchée, seulement un peu désenchantée, triste parfois. De me rendre compte que toute relation humaine, aussi sincère et profonde soit-elle, résiste difficilement aux écueils de la distance. Nous naviguons toujours seuls.  

jeudi 3 novembre 2011

La fête des morts


Je ne sais pas si j’ai peur de la mort. J’éprouve certes un drôle de sentiment quand je pense à celle-ci, mais j’ignore si l’on peut vraiment qualifier ce sentiment de peur. Ce serait plutôt une ambiguïté, une hésitation, une curiosité. Je n’ai jamais réellement connu la mort de près. Mes quatre grands-parents sont encore vivants, le reste de ma famille est en santé, mes amis ont une bonne étoile comme la mienne, bref, la vie bat son plein autour de moi et la mort m’apparaît encore comme une vague possibilité, une finalité incertaine. Il faut mourir, vraiment ? Pourtant, la vie est si forte. Il faut mourir ? Dommage. Je me plais bien ici, moi.

Depuis que je suis arrivée en Italie, beaucoup de gens sont morts. Des inconnus, pour la plupart, mais aussi des proches, dont le grand-père de F., bien sûr. Des stars, dont la pauvre Amy, ce cher monsieur Jobs et l’infâme K., ainsi que d’illustres étrangers. La mort rythme le quotidien. Les jours pourraient se compter en termes de décès. Dans le monde, de faim seulement, meurent environ 24 000 personnes chaque jour. Une heure équivaut à 3600 secondes et à mille morts.

On meurt. Partout. Au Québec, en Chine, au Soudan, au Texas, à Cuba, en Argentine. Certains décèdent des suites de bêtes accidents, d’autres d’une longue maladie ou d’une balle en plein cœur ; d’autres encore ne font que dormir un peu plus fort, d’un sommeil libérateur, au terme d’une existence bien remplie. Depuis le 31 octobre 2011, la population de la Terre est évaluée à 7 milliards d’humains. Il existe donc maintenant 7 milliards de façons de mourir.

Nous ignorons tous de quelle manière nous quitterons ce monde. Cependant, nous avons le droit de rêver et de souhaiter que celle-ci ne soit ni trop brutale ni trop lente et douloureuse. Personnellement, j’espère mourir vieille. Très vieille. Quatre-vingt treize ans, c’est mon objectif. Une de mes arrières grand-mères est morte à 92, alors qu’une de mes grandes tantes est décédée à 101 ans. Je me permets donc de croire que je porte en moi les gènes nécessaires pour mener une grande vie, aux limites de l’infini.

J’espère avoir une mort à l’italienne. Pourquoi à l’italienne ? Parce que bien qu’officiellement, l’espérance de vie soit la même pour les Canadiens et les Italiens, j’ai l’impression qu’ici, il y a plus de vieux. Ils sont partout. Dans les bars, au marché, en bicyclette. Tous les jours je croise des vieillards de 75, 80, voire 85 ans, sur leur vélo et je m’étonne. Jamais je n’ai vu ça chez nous. Des vieux Québécois en forme, il y en a (mon grand-père faisait encore du jogging jusqu’à tout récemment et je crois qu’il marche toujours 5 km quotidiennement), mais ils sont moins visibles. Moins téméraires aussi, j’oserais dire. Les vieux Italiens ne semblent pas avoir peur de se fracturer le bassin ou de se casser un poignet en tombant de leur monture. Peut-être est-ce parce qu’ils en ont vu d’autres. La majorité d’entre eux ont vécu la Deuxième Guerre mondiale, y ont participé, ont perdu des frères, des enfants, des amis à cause d’elle. Alors ce n’est pas un petit tour en bicyclette qui va les effrayer.

Mais ils ne sont pas éternels, ces courageux vétérans – ils finissent par flancher, eux aussi. Ma belle-mère se rend presque toutes les semaines au salon funéraire parce que les parents de gens qu’elle connaît meurent. Lorsque l’un d’entre eux trépasse, quelques heures plus tard à peine, on émet un avis de décès public, qui est apposé sur les murs de certains édifices. Ces affiches décorent en permanence la piazza. On n’essaie pas de camoufler la mort. On la diffuse, on s’y confronte. La mort n’est pas une honte, elle est un dénouement inéluctable, aussi bien se l’avouer.

Mardi, 1er novembre, c’était la fête des morts. Au Canada, nous ne la célébrons plus depuis longtemps, lui préférant de loin la veillée qui précède : l’Halloween. On se déguise en infirmière sexy ou en vampire déluré, on se saoule la gueule et on vomit parce qu’on a ingurgité trop de Rockets. On ne se rappelle même plus pourquoi on fait ça, d’où nous vient cette tradition de sonner aux portes des voisins pour quémander des cochonneries. Ce n’est ni Hershey ni Cadbury qui a inventé l’Halloween, contrairement à ce que l’on pourrait penser lorsqu’on rentre dans un Jean-Coutu durant le mois d’octobre. Triste blasphème. En Italie, on ne fête pas l’Halloween. (F. et moi avons eu bien du mal à trouver des citrouilles. Nous avons finalement mis la main sur deux spécimens que nous avons décorés lundi soir et que nous avons illuminés à l’aide de lampions. Nous avons ensuite regardé leur feu se consumer en écoutant Bettlejuice et en mangeant des cupcakes à la citrouille.) L’Halloween est une fête nord-américaine. Les Italiens n’en ont cure. Seul compte le 1er novembre, qui est un jour férié ici.

Le jour de la fête des morts, les gens se rendent généralement au cimetière pour rendre visite à leurs proches décédés. Ils leur apportent une offrande – des fleurs, un objet symbolique, une lettre – et ils se recueillent devant leur tombe ou, plus fréquemment, devant la niche où repose l’urne contenant leurs cendres. À vrai dire, les gens ne se contentent pas d’aller au cimetière seulement le 1er novembre. Les plus croyants, ou les plus nostalgiques, s’y rendent relativement souvent. Pour prier, rendre hommage à leur proche, réfléchir. Je vais souvent faire mon jogging sur la piste cyclable entourant le cimetière de Carpi et chaque fois, je croise des dizaines de gens habillés sobrement, munis de bouquets de fleurs et de mouchoirs, qui entrent et sortent du cimetière. Tous les jours sont bons pour aller saluer ses ancêtres. En face du cimetière, il y a un kiosque de plantes et de fleurs et, croyez-moi, son propriétaire doit faire des affaires d’or, tout au long de l’année.

Peut-être mon point de vue est-il faussé, peut-être que ma perception de la réalité n’est pas tout à fait juste, mais j’ai sincèrement l’impression qu’ici, la mort est infiniment plus respectée que chez nous. Une aura de solennité, d’humilité, de piété entoure celle-ci. Les rites liés à la disparition de quelqu’un demeurent encore très importants, chose qui, en contrepartie, tend à disparaître chez nous. Il me semble que la mort, on veut l’évacuer, l’éviter, la cacher, la dissimuler, la nier ; on veut tout faire sauf la regarder en pleine face. La célébrer, prendre le temps de la vivre, ironiquement, de l’accepter, de la faire sienne, il n’en est pas question. Cela serait beaucoup trop exigeant. Et de toute façon, la spiritualité, l’âme, la dévotion, la religion, l’au-delà, ce ne sont que des balivernes, n’est-ce pas ? Notre peuple a tant cherché à se libérer du joug de la religion catholique qu’on dirait qu’aujourd’hui, il rejette tout ce qui a un lien, de près ou de loin, avec elle. Les discours qu’on nous a si longtemps tenus au sujet de l’enfer et du paradis, du purgatoire, de l’extrême-onction, du royaume de Dieu, de l’importance de se faire pardonner ses péchés avant de rejoindre le firmament, nous ne voulions plus les entendre. Nous avons fait tabula rasa. Et la table est demeurée vide. Aucune conception de la mort n’est venue remplacer celle que nous forçait à endosser l’Église. Comme si la mort était l’apanage de Dieu. Pourtant, la mort est humaine, et non divine.

Mardi, à l’occasion de la fête des morts, nous avons fait un dîner de famille. Alors que je préparais le repas, Luisa, la grand-mère de F. fumait une cigarette sur le balcon de la cuisine. Le père de F. lui a dit « Luisa, pourquoi tu fumes, ce n’est pas bon pour toi. » Elle a répondu « Qu’est-ce que ça peut bien faire, c’est ainsi que nous allons tous finir, de toutes façons : en cendres. » Je ne sais pas si j’ai peur de la mort. Je sais seulement que j’aimerais en venir, un jour, à avoir une vision aussi lucide de ce qui m’attend, à la fin.