lundi 16 décembre 2013

Opération déneigement

Noël s’en venait. Et il allait être blanc. Il y avait déjà un mètre de neige partout, les gens faisaient du ski de fond sur les trottoirs de Montréal alors que décembre commençait à peine. C’était en 2007. J’étais vraiment très amoureuse. Mais pas de mon chum.

J’avais rencontré quelqu’un d’autre. Un gars, dans un de mes cours à l’université, il me faisait de l’œil avec ses tatous et son crâne rasé. C’était un faux rebelle, plein d’humour et de tendresse. Il me regardait comme jamais personne ne l’avait fait. Je me sentais tellement belle sous ses yeux, même avec mon air de fille en fin de session qui boit trop de café et qui porte des cols roulés parce que le chauffage fonctionne toujours mal dans nos belles institutions d’enseignement sous-financées.

C’était à ces yeux-là que je voulais appartenir.

Ça me torturait. Je ne mangeais plus. Je ne dormais plus. J’étais un cliché ambulant. Je suis une fidèle, moi, dans la vie, je ne trompe pas mes chums, même quand ils ne me rendent pas heureuse. Ma loyauté est quasiment une maladie.

Je n’arrivais pas à chasser l’image du beau chauve tatoué de mon esprit ni à tout dire à mon copain et à enfin mettre mes culottes (j’aurais dû, j’aurais peut-être eu moins froid dans les salles de classe). J’étais incapable de quitter l’épave qui me servait d’amour. La relation que j’entretenais depuis trois ans avec cet artiste génial qui s’avérait un piètre amoureux était vouée à l’échec, c’était écrit dans le ciel blanchi par les flocons. Malgré tout, je ne parvenais pas à me décider et à le lui dire. Je casse.

J’étais incapable de mettre en branle mon opération déneigement. De déblayer les chemins de mon cœur et de faire fondre les monticules d’amour malade, gris comme la slush, qui me pesaient sur la poitrine.

Je déteste tout ce qui se termine. J’ai donc étiré ça aussi longtemps que je l’ai pu. Puis à un moment donné, ça a cassé tout seul.

Après avoir bu trop de bières dans un bar qui n’existe même plus aujourd’hui, mon beau chauve m’a avoué que lui aussi, il avait envie de moi. C’était brut. Ça faisait mal. Ça lui sortait par les tatous. Une mince pellicule de désir. Comme de la sueur, mais en encore plus transparent. Quelque chose qui vous donne encore plus de frissons quand le coup de chaleur a fini par passer. C’était insupportable de beauté comment on se voulait lui et moi.

Il avait une blonde. Il était aussi pas libre que moi. Qu’est-ce qu’on allait en faire, de tout cet amour inconsommable ?

On ne s’est pas embrassé, on ne pouvait pas. Il a à peine effleurer mes lèvres lorsqu’il s’est penché pour me faire la conventionnelle bise d’amitié.

Cet effleurement, c’est la fois où j’ai fait l’amour le plus intensément de ma vie.

Le 19 décembre 2007, cinq jours avant le réveillon, j’ai laissé le génie d’artiste qui me tenait lieu de copain. En chattant, sur Internet, pendant qu’il était au travail. La chose la plus moche qui soit. Ça ne lui a pas fait un pli. C’était ce que je détestais le plus chez lui : jamais rien ne le dérangeait.

Le plus dur, ça n’a pas été de le laisser, lui, mais plutôt tout ce avec quoi il venait. Tous les amis que nous avions en commun. Le mode de vie qui était le nôtre et qu’on allait dorénavant devoir prendre en garde partagée. L’appartement dans lequel on vivait. Et Noël.

J’étais censée passer le réveillon chez ses parents, en pyjama devant le foyer, à manger du ragoût de pattes et des biscuits aux épices en forme de petits bonhommes heureux. Je ne voyais pas comment cela serait possible.

Comment je pourrais faire semblant d’être bien dans mon pyjama en flanalette, sur le divan de mes beaux-parents, tandis qu’en vérité, je n’aimais plus leur fils. C’est pour ça que je l’ai laissé. Parce que Noël s’en venait et que le jour de la naissance de Jésus, des accroires, tu ne peux pas t’en faire. Tu dois dire la vérité, être toi-même, sinon, la dinde en sauce et les atocas se digèrent moins bien.

J’ai laissé mon ex par respect pour notre Sauveur.
  
C’est du moins ce dont j’essayais de me convaincre, parce que je filais un sapristi de mauvais coton.

Plutôt que des cantiques qui réchauffent le cœur, c’est des plaintes en ré mineur que je chantais à la journée longue. D’autant plus que mon beau chauve, lui, il ne l’avait pas laissée, sa blonde. Il avait trouvé le courage nécessaire pour lui mentir, pour aller célébrer avec elle, dans les églises, dans les salles paroissiales, dans les sous-sols de mononcle, dans les cuisine de grand-mère, partout où il fait bon faire semblant d’être heureux. J’attendais un message de sa part, des signaux de feu, n’importe quoi, juste pour me donner de l’espoir, me faire croire que je ne finirais pas ma vie seule.

Ils ne sont jamais venus. Ni le message, ni mon beau chauve.

Il n’avait jamais été question pour lui de quitter qui que ce soit. Il était bien là où il était. Son couple n’était pas parfait, mais il lui convenait. C’est comme ça qu’on fait des enfants j’imagine : en s’accommodant de l’imparfait. Moi, des enfants, je pensais bien que je n’en ferais jamais. J’étais à nouveau célibataire et la personne pour qui j’avais éprouvé le plus de désir dans ma vie ne voulait plus de moi.

Je me suis mise à envier Marie, la mère vierge. Je trouvais que ça avait été plutôt facile pour elle. J’étais jalouse de sa manière de vivre l’amour : sans rien toucher.

Et puis, le jour de Noël, elle était plutôt bien entourée, elle. Un âne, un bœuf, tout le tralala. Moi, je n’avais plus personne pour me réchauffer les doigts de pieds en dessous des draps glacés.

Quand mon ex est rentré du réveillon familial, il a ramené un paquet pour moi. Mes anciens beaux-parents avaient décidé de m’offrir le cadeau qu’ils m’avaient acheté, même si j’avais jeté leur fils comme du vieux papier d’emballage tout fripé.

C’était peut-être ça Noël, finalement : donner un cadeau à feu notre bru, être généreux avec les gens qui n’ont pas toujours été gentils avec nous, offrir sans compter, sans s’attendre à recevoir en échange, abandonner des présents ici et là en espérant qu’ils changeront tout pour ceux qui les trouveront.

Donner des cadeaux de Noël comme on se sépare. Annoncer à celui qui a partagé notre vie pendant plusieurs années qu’entre nous, c’est terminé, de manière désintéressée. Pas parce qu’un autre garçon nous attend quelque part, simplement parce que celui-là n’était pas le bon.

Jamais personne ne nous attend. Nulle part. Il n’y a que la neige qui soit fidèle.

Cette année-là, il est tombé 3,1 mètres de neige sur Montréal. La ville s’est endettée de 3,4 millions de dollars à cause des opérations déneigement rendues nécessaires par la poudreuse qui déferlait en continu.

Et mon cœur, lui, a été enseveli sous les glaces.







mercredi 27 novembre 2013

La quadrature du cercle ou comment faire passer ce qui ne tourne pas rond dans un monde carré

Les contraires s’attirent, paraît-il. Ce qu’on dit moins, c’est qu’ils s’attirent souvent à l’intérieur d’une même personne. Nous sommes des êtres bourrés de contradictions. S’il y avait une compétition de l’humain-ayant-le-plus-de-divergences-intrinsèques, je crois que mon nom pourrait aisément figurer parmi les finalistes en lice.

En soi, ce n’est pas nécessairement un problème d’être « contradictoire ». J’ai pour mon dire que le fait de modifier son point de vue fréquemment témoigne plutôt d’une certaine humilité – savoir reconnaître qu’on s’est trompé et réajuster le tir. N’affirme-t-on pas qu’il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idées ? Bon, je ne suis pas sûre que parce que je change souvent d’idées on puisse déduire que je ne sois pas folle, ce serait un sophisme de le prétendre, mais de toute façon, le but ici n’est pas de déterminer mon degré de folie. Mon but, ce serait plutôt de faire valoir à quel point il est difficile de nos jours d’être une personne normale qui vient avec son lot d’antinomies, de non-sens et d’incohérences.

À notre époque, une majorité de gens se compromettent sur Internet, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la blogosphère. Nous sommes plusieurs à dire ce que nous pensons haut et fort, à écrire nos opinions à chaud sur Twitter, à étaler nos états d’âme sur Facebook, à réfléchir à voix haute sur des tribunes WordPress, etc. Nous sommes tous, à différents niveaux, des personnages publics.

Certains évaluent et soupèsent tous leurs mots avant de les graver à jamais dans l’espace virtuel, mais une vaste majorité de gens ne tournent pas leur clavier sept fois avant de taper leurs 140 caractères. Ils sont eux-mêmes, impulsifs et colorés ; ils enfilent les statuts comme on enchaîne les blagues dans une conversation de bar avec des copains. Toutefois, Internet, ce n’est pas un bar. Ce qu’on y affirme ne reste pas « entre nous ».

Contrairement aux discussions de chums de gars ou aux remarques passées entre copines, les déclarations qu’on fait sur FB et autres demeurent accessibles en tout temps et en tout lieu et, qui plus est, sont potentiellement visibles par l’univers au complet (en admettant que le reste de la galaxie et que tous les systèmes solaires voisins soient branchés WiFi). Bref, quand on balance un truc dans le monde virtuel, mieux vaut être capable de l’assumer et ce, pendant un maudit gros bout de temps, parce qu’il y a de fortes chances qu’un jour, quelqu’un ressorte ces allégations des boules à mite. Et si on n'est alors plus d’accord avec ses propres affirmations, même si elles ont été avancées il y a de cela plusieurs lurettes, il va falloir patiner fort pour justifier son changement de cap.

Si on accepte qu’en privé une personne change son fusil d’épaule, évolue et se rétracte, en public, on tolère difficilement qu’elle ne soit pas fidèle à ses propres paroles. Tout de suite, on l’accusera d’être inconséquente. Tout ça parce qu’on aime beaucoup catégoriser les gens, leur mettre des étiquettes. Ça nous rassure et nous réconforte, que le monde soit noir ou blanc, mais jamais rien entre les deux. C’est plus facile à gérer. Alors quand quelqu’un s’enfonce dans le gris en mettant de l’eau dans son vin ou en nuançant son opinion, ça nous déstabilise l’équilibre social.

Me vient en tête l’exemple de Richard Martineau qui, cet automne, s’est affiché en faveur de la Charte des valeurs québécoises alors qu’en 2002, il écrivait ceci : « Demander aux gens de laisser leurs symboles religieux au vestiaire n’est pas seulement absurde, c’est à la limite dangereux. Cela revient à dire qu’au Québec, la différence n’est acceptable que si elle est cachée, gommée, invisible[1]. » Il y a quelques semaines, cet « illogisme » a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux et tout le monde accusait Martineau d’être un paradoxe ambulant. Je n’ai pas l’intention de défendre Richard Martineau, il est très bien capable de faire ça tout seul, mais je voudrais juste relever un point : il s’est écoulé 11 ans entre sa prise de position par rapport à la Charte des valeurs québécoises et ses premières assertions concernant la place des symboles religieux dans la sphère publique. Onze ans. Ça en fait de l’eau et des ponts, ça. Il y a une couple de viaducs qui ont eu le temps de s’effondrer depuis. Par conséquent, il y a une couple d’opinions qui ont eu le temps de se moduler. Je crois qu’il est tout à fait normal qu’en une décennie, une personne se convertisse, se corrige, se décale, glisse, innove, se modifie, se ravise, se transforme, de même que sa pensée. Autrement, on appelle ça de la fermeture d’esprit.

Toutefois, à l’ère du numérique, de l’information 24/7 en temps réel et en continu, du streaming, du live et du vox populi comme nouvelle manière de faire du journalisme, on dirait qu’il n’est plus possible de revenir sur ses pas. Si on a déclaré quelque chose devant la caméra de La Presse (parce que oui, les journaux papiers en sont rendus à avoir des caméras et à faire des topos vidéo) alors qu’on marchait tout bonnement sur le trottoir en direction de la boucherie (fait vécu), il va falloir s’en rappeler longtemps de ce qu’on a dit, et s’y tenir, et s’arranger pour y croire toute la vie, parce qu’autrement, on va finir comme Martineau – un gros méchant qui n’est même pas capable de se rappeler qu’il défendait le camp adverse dans une autre vie.

Tout ça, ça tombe bien mal, parce que moi, je suis une impulsive. Je m’emporte, je réagis fort et vite, avec émotions, transparence et beaucoup de naïveté, à tout ce qui se passe dans ma vie et dans le monde. En vieillissant, j’ai appris à me calmer (un peu) et à me retenir (parfois) pour ne pas créer d’incident diplomatique, mais reste que je suis d’un naturel spontané. Je n’irais pas jusqu’à dire irréfléchi, car je réfléchis malgré tout énormément avant d’ouvrir la bouche ou de me faire aller le clavier – cependant, je réfléchis rapidement. Et il m’arrive après coup non pas de regretter ce que j’ai dit, mais d’avoir envie de le nuancer, d’adoucir, de modérer. Parfois, aussi, j’ai envie de tout effacer et de m’excuser, parce que je suis rendue complètement ailleurs et que mon point de vue a été grandement altéré. Mais je ne peux pas.

En fait, si. Je pourrais éradiquer tous les billets de blogue avec lesquels je ne suis moi-même plus en accord à 100%, faire disparaître mes statuts Facebook les moins convaincants et me désinscrire de Twitter en m’assurant que mon profil soit détruit. Sauf que ce serait renier le chemin par lequel je suis passée pour en arriver à ma nouvelle posture, à la personne que je suis et qui est appelée à se métamorphoser, encore. Parce que c’est ça, la vie : une belle suite de transfigurations, de cent quatre-vingts et de mues. Il n’est donc pas question que je désavoue l’ancien moi pour mieux défendre le nouveau. Toutes ces personnes que j’ai été, que je suis et que je serai doivent pouvoir cohabiter. C’est à cela qu’elle tient, ma cohérence.





[1] http://voir.ca/chroniques/ondes-de-choc/2002/04/24/sikh-alors/

mardi 12 novembre 2013

Guess Who ?


Nous allons jouer à Qui est-ce ? Savez, ce jeu de société avec lequel nous nous sommes tous amusés lorsque nous étions gamins. Une planche avec 24 personnages. Un paquet de cartes. On en choisit une au hasard. Sur notre propre planche de jeu, on rabaisse l’image du personnage qui figure sur notre carte. La partie commence : on essaie de deviner quel personnage a pigé notre adversaire en posant des questions du genre « Est-ce un homme ? A-t-il les cheveux blonds ? Porte-t-il un chapeau ? » Ce n’est pas super palpitant comme jeu. Mais quand on est jeune, on n’est pas trop capricieux, on aime pas mal n’importe quoi, tant que ça a la propriété de nous divertir 5 minutes.

Même si c’est moyennement le fun, nous allons jouer, OK ?

Je vais poser les questions à votre place, vu que le blog, ce n’est pas super interactif, t’sais.

Alors…

Est-ce une femme ?
Oui. On lui a déjà dit cependant qu’elle dégageait quelque chose de très masculin. Pas tant dans son apparence que dans son attitude. Une manière d’être, de faire, une assurance généralement réservée aux membres du sexe fort. Comme s’il fallait avoir un pénis entre les deux jambes pour être une personne groundée, confiante.

A-t-elle les cheveux raides ?
Non. Elle a bien essayé une ou deux fois de se les raidir, mais le résultat n’était pas très concluant. Deux secondes dehors et hop !, avec l’humidité, ses boucles revenaient au galop.

Sont-ils blonds ?
Non.

Bruns ?
Non.

Roux ?
Oui. Mais ils commencent à y avoir des individus blancs au travers. Comme quoi elle aussi vieillit. Trop vite à son goût.

Porte-t-elle des lunettes ?
Oui. Lorsqu’à 12 ans, l’optométriste lui a annoncé qu’elle devrait porter des lunettes, elle a pensé « C’est une catastrophe. » Les gens la traitaient déjà de bolée – elle avait toujours eu d’excellentes notes à l’école – et elle craignait qu’on l’associe dorénavant à un rat de bibliothèque, en raison de ses barniques. Aujourd’hui, quand elle ne les porte pas, elle trouve que sa face a l’air toute nue.

A-t-elle les yeux marron ?
Non. Ils sont bleus-verts. Le parfait mélange entre les yeux azur de sa mère et ceux vert pomme de son père. Un regard rieur avec de plus en plus de pattes d’oie autour. Ça lui apprendra à rigoler trop souvent.

A-t-elle une fossette sur le menton ?
Non. Par contre, le menton, elle le porte relevé. C’est une personne plutôt fière. Elle n’aime pas laisser voir ses faiblesses. Elle marche la tête haute, comme si rien ne l’atteignait, alors que c’est tout à fait faux. Hypersensible, les remarques désobligeantes et les commentaires d’autrui la touchent beaucoup. Elle fait juste semblant de ne pas les entendre, puis elle fonce. Une fois rendue chez elle, elle éclate souvent en sanglots.

A-t-elle les joues rouges ?
Constamment. Elle a un tempérament sanguin. Elle rougit à rien. De gêne, rarement, d’émotions, souvent. De joie, de rage, de chagrin. Elle est incapable de cacher ses états d’âme, ils transparaissent tout de suite sur son visage. Elle admire les gens qui sont capables de mentir car elle, elle n’y parvient pas. Non pas qu’elle souhaiterait pouvoir être malhonnête, loin de là, cependant, il y a certains mensonges qui auraient parfois pu la sortir du pétrin.

Je crois que je sais ! C’est Mélissa !

Tu brûles. Mais ce n’est pas tout à fait ça.

C’est Mélissa, oui, mais seulement une partie d’elle. La Mélissa que tout le monde croit connaître, celle qui se trimballe en public avec son sourire éternel, sa verve enflammée et ses grands gestes impulsifs. Toutefois, il existe aussi une autre Mélissa. Celle-là, on ne la voit pas sur le tableau de jeu.

C’est une jeune femme angoissée, qui se remet constamment en doute, qui demande juste à être aimée, qui voudrait qu’on lui caresse les cheveux en lui disant que tout va bien aller. Elle est tout sauf sûre d’elle-même.

Elle parle souvent d’elle sur son blogue ces temps-ci. Elle essaie de sortir de sa cachette. De laisser savoir au monde qu’elle en a marre de se terrer derrière l’autre Mélissa, l’exubérante, la colorée, l’assurée, la décidée. Elle l’aime bien, cette autre Mélissa, mais elle est fatiguée que tous croient qu’il n’y a qu’elle.

Depuis quelques années, les réseaux sociaux ont grandement contribué à véhiculer l’image d’une Mélissa inébranlable, alors que ces années ont été particulièrement chargées en épreuves et en moments difficiles. Parfois, elle aurait voulu que les gens la prennent dans leurs bras et lui offrent de l’aider plutôt que de lui dire « Wow, t’es courageuse, bravo, continue comme ça. » Courageuse, Mélissa, elle ne trouvait pas qu’elle l’était tant que ça. Au bout du rouleau, c’est plutôt ainsi qu’elle se percevait.

Personne n’a été foutu de la diagnostiquer, mais aujourd’hui, elle réalise qu’elle a probablement fait une dépression.

Les gens ne sont jamais ce qu’on croit qu’ils sont. L’image est traître. Il ne faut jamais se baser complètement sur elle pour bâtir notre opinion d’une personne et prétendre par la suite que « cette fille-là, on la connaît bien ».

On ne remporte pas une partie de Guess Who ? en se fiant aux premières impressions.




jeudi 7 novembre 2013

Ma vie en haute résolution


On attend généralement le mois de janvier pour prendre des résolutions. On se dit qu’une année qui commence, c’est l’occasion idéale pour se faire des promesses qu’on ne tiendra pas. Pourtant, des 365 jours qui composent le calendrier, je n’en connais pas beaucoup qui soient plus mauvais qu’un autre pour prendre des décisions à moitié. Il n’est jamais trop tard pour scraper sa vie ni trop tôt pour lui injecter un nouveau souffle. Bref, je me suis dit que le 7 novembre, ça pourrait être une belle journée pour vous faire part de ce que j’aimerais changer dans mon existence imparfaite.

-       En septembre, j’ai arrêté le café. Je l’ai remplacé par des thés ou des tisanes. J’aimerais continuer dans cette voie (ça ne devrait pas être trop difficile, le café ne me manque pas vraiment). J’aimerais cependant devenir capable de boire mon thé sans faire autre chose. Que cela devienne un véritable moment de repos, de ressourcement, de méditation. Non pas une manière d’occuper mes mains et ma bouche pendant que je stresse au sujet des tâches ménagères à accomplir ou de mes dates de tombée.
-       Bien que j’en consomme déjà très peu, j’aimerais manger moins de viande. Je ne veux pas devenir végétarienne, j’aime la viande et lorsqu’elle est produite dans les bonnes conditions, cela ne me pose aucun problème moral. Je respecte beaucoup ceux qui ont choisi le végétarisme comme mode de vie (et non pas comme mode tout court – ceux-là, ils me font chier), mais je fais plutôt partie de l’école des « autochtones » ; les autochtones respectent la nature, lui rendent hommage et la remercient de ses offrandes, mais ils ne se privent pas d’en consommer les richesses, quelles soient animales ou végétales. Ma résolution serait peut-être celle-là en fait : j’aimerais consommer de manière plus responsable et être davantage reconnaissante envers ceux qui me nourrissent – les animaux, les agriculteurs, ceux qui sacrifient leur vie pour donner à manger à la planète, quoi.
-       Je voudrais trouver une activité physique qui me plaise vraiment et la pratiquer régulièrement, pour la forme, mais surtout pour le plaisir. J’ai déjà parlé de ma perception de la course à pied, maintenant que c’est devenu une norme de la pratiquer, alors il me faudra dénicher autre chose que le jogging pour me garder en shape. Le badminton ? La nage ? Le vélo ? Le ski ? Ça me prend quelque chose de pas trop contraignant sur le plan des horaires, vie de famille oblige. Idéalement, un sport qui ne nécessite ni d’aptitudes particulières (je suis un format mini, laissez faire le basket), ni de longues heures de cours (la plongée sous-marine, mettons qu’on repassera) et qui peut se pratiquer près de chez moi (monter les marches ne compte pas).
-       Mon plus grand défi : arrêter de m’en faire. Je suis une angoissée de nature. Je réfléchis trop. Mon anxiété, comme je l’ai déjà raconté ici, a été nourrie par la grande fatigue qui a suivi mon accouchement et les exigences de la vie de maman de triplées. Maintenant, la routine est un peu plus facile alors je devrais être en mesure de faire baisser mon taux de stress. Je dois arrêter de faire de la projection et d’imaginer ce que sera l’avenir (de manière généralement plutôt farfelue et pas du tout réaliste, puisque la majorité de mes craintes ne se réalisent jamais). Me concentrer sur l’ici et le maintenant, m’en contenter. C’est un travail à long terme. On ne convertit pas un esprit tourmenté à la zénitude en criant « Bouddha ! »
-       Deuxième résolution la plus difficile à concrétiser : arrêter de m’en faire avec ce que les autres pensent. Je dégage généralement une grande confiance en moi et un je-m’en-foutisme à l’égard de ce qu’autrui peut bien penser à mon sujet, mais il n’y a rien de plus faux que cette indifférence qu’on m’attribue souvent. Je suis tout sauf indifférente. Ce que plusieurs perçoivent comme du détachement, voire de la condescendance, n’est en fait qu’une façon de survivre au regard des autres, à leur jugement. Une belle grosse carapace que je me suis forgée au fil des années et qui m’a fait marcher la tête haute même lorsqu’en dedans je me sentais comme un haricot desséché. Je dois apprendre à ne plus anticiper ce que les gens penseront de moi, à m’insensibiliser aux remarques négligentes et aux attaques déplacées, à vivre ma vie comme je l’entends, en respectant bien entendu la liberté et les valeurs d’autrui mais en n’étant pas virée à l’envers pendant une semaine lorsque je blesse quelqu’un ou que je le déçois.

Des résolutions pour rendre mon existence plus agréable, je pourrais en prendre mille autres. Mais déjà avec celles-ci, il me semble que j’ai du travail pour plusieurs décennies ! Il est probablement sans intérêt pour beaucoup de personnes de prendre compte de ces « lignes directrices » que j’essaie de suivre du mieux que je le peux, mais j’ai choisi de les partager au cas où elles pourraient trouver écho dans la tête de deux ou trois lecteurs qui, eux aussi, cherchent à améliorer leur petite personne.

N’allez pas croire que je verse maintenant dans la psycho-pop et que mon prochain bouquin parlera de croissance personnelle. Je suis de celle qui croit que c’est dans l’intimité et le recueillement qu’on peut véritablement instaurer des changements en soi et les vivre jusqu’au bout. Ça ne devrait donc pas devenir une habitude que de vous entretenir au sujet des solutions que je cherche à mettre en place pour rendre mon quotidien moins cahoteux. Toutefois, je crois aussi que cette quête du meilleur est l’affaire d’une majorité. Pourtant, on se sent souvent bien seul dans notre poursuite du bonheur. On a constamment besoin de se faire rappeler que notre désir du mieux est partagé par plusieurs et que ces « plusieurs » possèdent peut-être une partie de la réponse à nos interrogations métaphysiques et autres remises en questions.

C’est ironique, oui : j’essaie de moins m’en faire avec les autres, cependant, je reconnais de plus en plus que j’ai besoin d’eux pour construire mon équilibre.




lundi 28 octobre 2013

Jeune écrivaine cherche mécène

Hier, j’ai envoyé le manuscrit de mon troisième livre à mon éditeur. Excitation, stress, soulagement, un beau mélange de tout ça m’envahit aujourd’hui. Pendant une fraction de seconde ce matin, je me suis sentie en vacances. J’avais l’impression que j’étais libre de faire ce que je voulais puisque j’avais accompli ce qu’on attendait de moi. Puis, je me suis rappelé que c’était faux. Des vacances, quand on a choisi d’épouser le métier d’écrivain, on ne connaît pas ça.

On n’a jamais vraiment fini d’écrire. Avant même qu’un projet soit terminé, on est déjà en train de penser au suivant. Et la vérité, c’est que personne n’attend rien de moi. Je n’ai pas de date butoir, d’échéances ou de quotas à remplir. Je me fixe mes propres objectifs et si je ne les remplis pas, je serai la seule à le savoir. Il n’y a rien de plus terrible que cela.

N’avoir de compte à rendre à personne, ça vous fout une angoisse, je vous jure. Moi en tout cas, ça me rend dingue. Car je suis beaucoup plus exigeante envers moi-même que n’importe quel client ou employeur ne pourrait l’être. Comme je ne dépends que de ma petite personne, j’ai le sentiment que ce que je fais doit être irréprochable.

Je ne saurais pas trop expliquer ce perfectionnisme exagéré. Je sais seulement que je place toujours la barre plus haute par rapport à mes projets et à moi-même que je ne la place pour les autres et leurs accomplissements. J’accepte que les autres se trompent mais je refuse de me planter. Décevoir autrui serait pour moi un échec, mais je ne suis pas capable de rentrer ceci dans ma petite tête : ce sont rarement les autres que je déçois, mais beaucoup plus souvent mon petit nombril.

Les autres, bien souvent, ils n’en ont rien à foutre. Les autres, si j’en n’écris pas de roman, ça ne change pas grand-chose dans leur existence.

Mon perfectionnisme est probablement une manière de me faire croire que ce que je fais dans la vie est utile.

Bien sûr que ce l’est, utile, l’écriture, les livres, la littérature, tout ça, mais quand tu es plongé dans ton quotidien, ton mode de vie axé sur les enfants, la routine, les besoins primaires, alouette, il y a quand même beaucoup de moments où tu te demandes à quoi ça rime, la poésie, le fond, la forme, les mots, le bla bla. C’est difficile de concilier la réalité avec la fiction. De toujours faire concorder son besoin irrépressible de raconter des histoires et la nécessité d’avoir les deux pieds sur terre. J’y arrive. Je crois même parvenir à faire de petits miracles. Mais bon sang, c’est dur. Souvent.

J’ai la tête qui grouille d’idées. « L’angoisse du poisson rouge » vient à peine d’arriver sur le bureau de ma maison d’édition que déjà je suis en train de réfléchir au tome II. Et j’ai une autre idée de recueil de nouvelles qui me trotte dans le cerveau depuis quelques mois. Et je dois écrire un essai pour un collectif pour la mi-janvier. Et j’ai promis à une artiste que je connais que je lui écrirais deux chansons. Et je me suis engagée auprès de mon ancienne commission scolaire pour participer à une activité de lecture avec les kids. Et je veux faire un album pour enfants avec une amie. Et une BD, aussi. Et j’aurais vraiment aimé adapter mon petit poisson rouge en film. Et, et, et.

J’ai de quoi m’occuper pour les cinq années à venir. Quand je regarde cette liste, autant je me sens pleine de motivation et je désire m’atteler à la tâche illico, autant je déprime. Parce que parmi tous ces projets, il n’y en a pas un maudit qui va me rapporter de quoi acheter trois paires de bottes d’hiver et trois suit. Pour ce qui est de m’habiller moi, on repassera.

Je vais bien recevoir quelques droits d’auteur ici et là, mériter un ou deux cachets. Mais ça ne sera pas de quoi faire vivre une famille. Je vais donc devoir faire autre chose.

J’ai peut-être l’air de me plaindre, je vous assure, ce n’est pas le cas. J’aime ce que je fais et je ne regrette pas d’avoir choisi cette voie. Le problème, il est là, justement. J’aime ce que je fais. Je ne me vois pas faire un autre boulot. Alors quand vient le temps de trouver quelle « autre chose » je pourrais faire pour ramener un peu de pain en tranches sur la table en mélamine, je fige. Je n’ai pas d’idées. Autant je peux avoir de l’imagination, autant sur ce coup-là, je me sens démunie.

De la correction, de la révision, de la rédaction, de la traduction, tralali, tralalère, j’en ai fait, je pourrais bien continuer d’en faire, sauf que ça me gruge mon énergie et quand vient le temps de m’asseoir pour réaliser mes projets, je suis vidée.

Je le répète : je ne me plains pas, je rêve. Je fabule « à clavier haut ». Je vous dis ce qui, vraiment, ferait mon affaire.

J’ai été hyper chanceuse : en deux ans, j’ai eu la chance de recevoir deux bourses de création, ce qui a fait en sorte que j’ai pu me consacrer entièrement à l’écriture et pondre deux livres. Je voudrais juste que ça continue. Me trouver un généreux donateur qui me paierait pour que je puisse me dédier totalement à ma petite besogne sans trop me faire déranger (à part par les triplettes, mais ça, c’est une autre histoire.)

Y’aurait pas un mécène dans la salle ?




vendredi 18 octobre 2013

Être de bons parents ou comment ne pas devenir complètement cons après avoir eu des enfants

Hier, à l’émission de Catherine Perrin, sur les ondes de ICI Radio-Canada Première, Charles-Alexandre Théorêt et Marie-Ève Soutière ont fait une chronique intitulée « Avertissement parental : votre vie sociale est en péril », laquelle visait à sensibiliser les futurs jeunes parents au fait qu’après l’arrivée de leur enfant, ils n’auraient plus de temps libres.

J’ai failli vomir.

Peut-être est-ce moi qui manque d’humour, peut-être que j’ai trop « les mains dedans » pour pouvoir rire des petits drames liés à la condition des jeunes parents, peut-être que j’accorde trop d’importance au discours plus maladroit que comique de cette comédienne inconnue et de ce recherchiste en quête de je-ne-sais-trop-quoi, mais j’ai trouvé cette chronique aux prétentions humoristiques insultante, condescendante et complètement décourageante. Si c’est ainsi que pensent les gens de ma génération, si ce simili sketch représente leur façon de percevoir la famille et les enfants, vraiment, on fait pitié.

La chronique était présentée à la toute fin de l’émission, comme pour s’assurer que personne ne puisse faire de commentaires à son sujet. Dommage, car des réactions, j’en avais une trâlée.

Le but était de donner des trucs et outils aux aspirants géniteurs pour « briser le cercle vicieux de l’isolement des nouveaux parents ». Jusque là, ça va. Je suis 100% pour ce genre de démarche. Parce que c’est vrai qu’on se sent foutrement isolé du reste du monde lorsqu’on devient mère ou père. Du jour au lendemain, notre réalité se transforme et nous avons l’impression de ne plus rien partager avec ceux qui nous entourent, que personne ne peut plus nous comprendre, que la fatigue a fait de nous des zombies mésadaptés sociaux. Ce sentiment de vivre dans une bulle, je le vis depuis 18 mois maintenant, trois fois plutôt qu’une. Toutefois, les solutions pour briser l’isolement proposées par notre joyeux duo sont cyniquement désolantes.

D’abord, il faut savoir que selon eux, le summum d’une vie socialement réussie, c’est d’aller dans des 5 à 7.

Même Catherine Perrin semblait ressentir un certain malaise devant une telle affirmation. Personnellement, elle me déroute de superficialité. Ils ajoutent par la suite que si l’on souhaite continuer de se faire inviter dans les 5 à 7 même une fois notre progéniture expulsée du vagin de la mère, il faut « se tenir loin de l’image du parent exténué qui parle juste de son enfant et de sa fatigue ». Il faut éviter de mettre trop de photos de nos enfants sur Facebook et, surtout, éviter de faire des statuts « de parents ennuyants » du genre « ma poupounette a fait son premier caca » et les troquer pour « des statuts de jeunes qui sortent ». Bref, interdiction de se vanter du fait qu’on a des enfants, qu’on est fier d’eux et qu’ils ont à nos yeux accompli de grands exploits (parce que oui, le premier caca d’un bébé, c’est un exploit – parlez-en aux parents d’enfants qui souffrent de constipation ou qui, pire, sont nés avec des problèmes aux intestins). En d’autres mots, avoir des enfants, c’est une plaie dont on devrait avoir honte. Pour estimer avoir réellement réussi dans la vie, il ne faut pas s’assurer une descendance ; il faut fréquenter les événements mondains.

Aux dires de ces deux personnes qui savent supposément de quoi elles parlent parce qu’elles sont elles-mêmes parents, il est plus socialement acceptable d’être lendemain de veille parce qu’on a bu trop de daïquiris dans un party que de mettre au monde un bambin. Je n’exagère rien, ce sont eux-mêmes qui l’ont dit.

J’ai de la difficulté à commenter tellement je trouve ces assertions grossières. Encore une fois, je le répète, je comprends que cela est censé faire rire, que ça ne reflète pas nécessairement la pensée de Théorêt et Soutière, or, normalement, les blagues font rire parce qu’elles renferment une grande part de vérité – la foule se bidonne parce qu’elle se reconnaît dans ce dont l’humoriste parle. J’en conclue donc que ces jokes de parents jet set reposent en grande partie sur une conception réelle de la parentalité : ayons des enfants, oui, mais à condition que ça ne paraisse pas trop. Que ça ne vienne pas changer ce que nous sommes, ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons.

Si vous adhérez à cette vision des choses, eh bien, j’ai des petites nouvelles pour vous : procréer, ÇA BOULEVERSE une vie. Après, il n’y a plus rien de pareil. Si vous comptez que votre train de vie post-accouchement soit semblable en tous points à celui pré-accouchement, vous vous enlignez tout droit vers une dépression. Vous allez vous brûler. Il faut faire des choix à un certain moment dans une existence : soit on est branché parce qu’on ne rate aucun lancement, cocktail ni autre activité glamour, soit on devient rangé, on est heureux d’avoir du temps pour regarder un film à TVA un vendredi soir et on considère que se lever à 7h30, c’est faire la grasse matinée.

Il n’y a pas un mode de vie mieux que l’autre. C’est-à-dire qu’il est tout à fait correct qu’une certaine tranche de la population décide de vivre librement, sans enfants et de mettre toute son énergie dans sa carrière et ses amitiés, tandis que d’autres choisissent de fonder des familles et d’avoir des plaisirs un peu moins éclatants. Les deux sont légitimes, les deux se respectent. Il faut toutefois arrêter de faire croire à ceux qui font partie de la deuxième catégorie qu’ils pourront continuer d’appartenir à la première à temps partiel. C’est de la grosse bullshit. Non seulement ça ne sera pas possible, mais en vérité, ça ne risque même pas de vous tenter.

Alors pourquoi continuer de nous faire feeler cheap parce qu’on ne sort jamais, parce qu’on n’est pas au courant des derniers potins du Plateau ou du Mile-End, parce qu’on vit comme des ermites ? Et pourquoi nous traiter comme si, en même temps que parents, nous étions devenus débiles ? Pour en revenir à l’extrait radio qui m’a fait sortir de mes gonds, Théorêt et Soutière poursuivent leur délire en tâchant d’éduquer les pauvres parents et en leur montrant comment tenir « une conversation d’adultes » – c’est-à-dire une conversation qui ne tourne pas autour des enfants.

Selon eux, les jeunes parents n’ont pas le temps de se forger d’opinion sur l’actualité et sur tout ce qui se passe dans le monde, alors cela fait d’eux des êtres insignifiants qui n’ont rien à dire. « Un jeune parent, ce que ça n’a pas dans la vie, c’est une opinion sur la charte », dixit Théorêt. Pardon ? Je suis maman de triplées et, c’est drôle, j’en ai une, une opinion sur la charte (des valeurs québécoises, je précise, pour les jeunes parents dans l’assistance qui n’auraient pas eu le temps de s’informer dernièrement.) Avoir des bébés n’a pas fait de moi une ignare inculte qui est incapable de saisir les enjeux sociaux et d’en penser quoi que ce soit de pertinent. Mon QI n’a pas baissé parce que j’ai mis au monde des rejetons. D’accord, je n’ai pas beaucoup de temps libres pour étoffer mes opinions et approfondir les sujets qui m’intéressent, mais je connais bien des gens qui n’ont pas d’enfants qui ne prennent pas cette peine non plus. Ça n’a donc rien à voir avec la disponibilité des temps libres, mais concerne plutôt l’intérêt que nous avons à la base, comme individu, pour ce genre de choses.

Parmi les solutions qu’ils nous proposent pour pallier notre ignorance, il y a celle de faire sentir aux autres qu’ils sont caves pour dissimuler notre propre incompétence, avoir recours à des applications mobiles du genre Conversation starter pour se trouver des idées de sujets vraiment intéressants ou employer la technique de la chèvre myotonique et feindre de s’évanouir lorsque nous sommes à court d’arguments pour ainsi gagner la sympathie de nos interlocuteurs. J’imagine que c’est ici que j’étais censée m’esclaffer et dire « AHAHA ! Mais comme ils sont rigolos ces gens dans ma radio. » J’ai plutôt eu envie d’écrire une plainte à Radio-Canada.

« C’est juste une chronique dans une émission de radio Mélissa, calme-toi le pompon. » Certes, je pourrais le prendre moins personnel, toutefois, je ne peux m’empêcher de croire qu’une telle intervention est symptomatique de toute une culture bel et bien réelle du « faisons-des-enfants-tant-que-ça-ne-nuit-pas-trop-à-notre-individualité-et-jugeons-ceux-qui-ne-parviennent-pas-à-rester-aussi-trendy-que-nous-en-ayant-des-mômes ».

Un truc que les deux clowns ont oublié de mentionner, c’est celui-ci : allez porter vos enfants à la garderie dès l’ouverture à 7h le matin et n’allez les chercher que quelques minutes avant la fermeture, le plus tard possible. Comme ça, vous devriez être bons pour avoir 50 heures de libres dans votre semaine pour aller travailler, oui, mais surtout pour penser à vous et ne pas vous laissez influencer par cette sale marmaille qui vous rend mous et apathiques. Faites des enfants mais ne vous en occupez pas. C’est le meilleur moyen pour rester hip tout en pouvant recevoir des crédits d’impôt pour le soutien aux enfants du gouvernement.

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C’est à la toute fin, vers 1h27, me semble-t-il.





jeudi 10 octobre 2013

J'ai trente ans depuis si longtemps



Hier, je fêtais mes trente ans. Pour l’occasion, j’ai passé la majeure partie de ma journée à l’hôpital avec mes filles, car elles avaient des rendez-vous de suivi avec des spécialistes. Le gros high light de ma journée a été de boire une demie bouteille de vin rouge au repas. Un soir de semaine, imaginez comme je suis wild. Il n’était pas très bon en fait. C’était un Bourgogne, que j’avais choisi moi-même, je ne sais pas trop pourquoi, puisque je préfère les italiens. Ils sont moins acides. Enfin, quand je dis que j’ai fêté, vous comprenez tout de suite que j’exagère.

J’aurais plutôt dû dire « Hier, j’ai eu trente ans. » Point.

À vrai dire, j’ai l’impression que j’ai eu trente ans il y a déjà longtemps. Avec tout ce qui s’est passé dans ma vie au cours des dernières années, je crois que mon corps, mon cœur et ma tête ont vieilli en accéléré. Ce que je célébrais hier, c’était un chiffre, cependant, l’état d’esprit qui vient normalement avec, il y a des lustres que je l’avais atteint.

Le 9 octobre 2013, c’était donc une journée comme les autres. Plus on vieillit, plus les anniversaires deviennent des journées comme les autres, j’imagine. On n’est pas pressé de se faire rappeler que nous avons un tour de plus au compteur ni que notre face affiche sans cesse plus de rides et autres marques du temps. On n’en fait plus un plat si les gens oublient de nous appeler ou de nous envoyer une carte. On se contente des cinquante messages de semi-inconnus sur notre babillard Facebook et on se dit qu’au fond, on n'en a rien à foutre.

C’était ainsi que je me sentais hier en tout cas. Je m’en foutais. Sincèrement. J’ai déjà souvent fait semblant de ne pas être concernée par des choses qui en fait me touchaient, mais là, ce n’était pas du fake. Je n’en avais cure. Ce qui fait en sorte que j’ai passé l’un des plus beaux anniversaires de ma vie. Même si je me suis couchée à 21h45, que j’ai dû me taper les hôpitaux et ce con dans le stationnement qui ne comprenait pas ce que signifiait « sens unique ».

C’était le plus bel anniversaire de ma vie parce que j’étais entourée de ceux qui comptent le plus au monde pour moi. Mon mari, mes enfants. Nous sommes heureux ensemble. Nous formons une famille unie, ricaneuse, curieuse, amoureuse. Que pourrions-nous demander de plus ? Que pourrais-je exiger d’autre comme cadeau d’anniversaire ? Un cadeau qui s’offre à moi tous les jours, qui plus est.

Je dois sonner ultra kitsch. Et ça aussi je m’en fous. Le cynisme, j’en ai marre. Je laisse les autres s’amuser à trouver ridicules les bonheurs simples. À partir de maintenant, pour ma part, ce sont uniquement ces plaisirs que je chercherai à cultiver.

J’aimerais avoir plus de temps pour voir mes amis. Je me suis involontairement éloignée de plusieurs d’entre eux depuis que j’ai eu mes triplées, pour des raisons qui m’apparaissent évidentes et qui n’ont rien à voir avec un quelconque manque de loyauté, de reconnaissance ou de respect. J’aimerais pouvoir sortir le vendredi ou le samedi soir, aller au cinéma ou prendre un verre entre copines. Dans ma vie actuelle, ça ne se peut pas. J’aimerais être assez en forme et avoir suffisamment d’argent pour faire du sport plus sérieusement, aller plus souvent au musée, recommencer à aller au théâtre, lire davantage, acheter plus de livres et de musique, cuisiner toutes ces recettes que je me suis un jour promis d’essayer. Ce n’est pas possible. Pas pour l’instant. J’aimerais pouvoir mettre davantage d’énergie dans ma carrière, écrire encore plus, trouver de nouvelles voies pour exercer l’écriture, en vivre. Je dois remettre ça à plus tard. Il y a bien quelques moments où cela me pèse, de ne pas toujours pouvoir faire ce dont j’ai envie quand j’en ai envie. Mais honnêtement, la majorité du temps, cela ne me cause pas problème.

Car je suis riche d’une richesse unique et inestimable qui fait de moi une des femmes les plus chanceuses au monde. Je suis entourée d’amour. Encore du quétaine. Eh oui. C’est cet effet que me cause la trentaine. Je deviens fleur bleue. Et j’emmerde tous ceux qui croient qu’être romantique, ou tendre, ou sentimentale, ou simplement heureux, c’est signe de faiblesse ou de manque d’intelligence – car notre monde déborde de ces gens qui se pensent plus intelligents que les autres parce qu’ils détestent la Saint-Valentin, Céline Dion et tout ce qui rend heureux le supposé petit peuple et parce qu’eux, ils sont anxieux, vivent des amours compliqués et lisent de la vraie poésie.  

Bref, j’aborde (ou, du moins, je tente d’aborder) la trentaine avec sérénité et optimisme (à part en ce qui concerne ma hargne des cyniques finis, que voulez-vous, j’ai encore du travail à faire !). J’essaie de ne plus me mettre de pression, de me concentrer sur ce qui est essentiel et qui me fait du bien. Donc oui, il y a aussi un peu d’égoïsme dans ma manière d’accueillir cette nouvelle décennie. Je compte bien penser à moi et prendre mon temps. Prendre mon temps pour me remettre complètement sur pieds, prendre mon temps pour faire des choses en apparences inutiles qui ne servent aucun but précis, prendre mon temps pour ne rien faire du tout.

Tout à l’heure, j’ai fait une sieste d’une heure et demie en même temps que mes filles. Léa pleurait, elle s’est endormie dans mes bras, tandis que les deux autres dormaient paisiblement dans leur lit. La maison était calme. C’était le bonheur.

Je veux que ma vie de trentenaire ressemble à cela. À une maison dont les résidants sont occupés à se reposer par un bel après-midi d’automne.