mercredi 2 août 2017

La vie sens unique

En vacances, j’aime bien ne rien faire. Regarder le vide, somnoler, analyser la forme des feuilles des arbres, me rendormir, rêvasser, marcher pour n’aller nulle part. Dans ces moments de farniente, je pense beaucoup, mais généralement à des choses futiles – du moins en apparences. Ainsi, durant une promenade paresseuse, je me demanderai pourquoi il est si forçant pour le corps de gravir des marches ou une montagne, tandis que la descente s’effectue si facilement? Et cette question essentielle : où va l’eau évaporée de la mer, des rivières et des lacs qui s’assèchent lorsqu’elle ne retourne pas à la terre sous forme de pluie?

Je me pose aussi (ou plutôt me « repose ») des questions plus existentielles comme « Pourquoi est-ce qu’on a si peur de mourir, qu’on voudrait tant retarder le moment de sa disparition, mais qu’en parallèle, on sacrifie son temps en s’adonnant à des activités complètement dépourvues de sens (à vous de juger lesquelles, on a tous des passe-temps plus ou moins insignifiants)? » On dirait qu’une personne doit passer proche de mourir en choppant le cancer ou en ayant un accident grave pour se rendre compte de la valeur de son existence et, surtout, de la brièveté de celle-ci. Pourtant, la fin que nous ferons, nous la connaissons tous. Pourquoi avoir besoin de tels rappels avant de se consacrer à ce qui a vraiment du sens pour soi?



Ce qui a du sens, ça peut être toutes sortes de choses – la spiritualité, le sport, l’artisanat, la lecture, la philosophie, la cuisine, le bénévolat, name it. Il n’y a pas de sens prédéterminé – c’est généralement pour cela qu’on dit que la vie est absurde –; il n’y a que le sens qu’on choisit pour soi. Ces deux derniers mots sont importants : ce qui est primordial, signifiant et fondamental pour soi. Le sens dont on souhaite doter son existence n’est pas transférable, c’est-à-dire qu’il ne peut s’appliquer qu’à sa propre vie. Ce n’est pas parce qu’on a trouvé la réponse à toutes ses questions  métaphysiques que celles-ci peuvent s’appliquer à l’ensemble des gens qui nous entourent – voire de l’humanité.

Cette quête est intime et les résultats auxquels elle nous mène sont tout aussi personnels. Ainsi faut-il se méfier des gourous de toutes sortes, de ceux qui clament que le yoga/la méditation en pleine conscience/le jogging/le véganisme*/l’islam/le judaïsme/le christianisme/la naturopathie/la vie à la campagne/les voyages/ajoutez à cette liste tout ce que vous considérez qui donne du sens à votre vie – de tous ceux qui clament que tout ça, oui, ça va vous sauver, vous rendre meilleurs ou faire de vous des êtres bons. En elles-mêmes, toutes ces choses comportent effectivement du bon, mais on ne peut pas juger un individu parce qu’il n’applique pas certains de ces principes dans sa vie ou qu’il n’effectue pas une ou l’autre de ces activités.

Aucun choix de vie ne nous rend supérieurs ou inférieurs aux autres, simplement parce que ces choix n’en sont pas toujours. Ce n’est pas nécessairement par faiblesse, manque d’éducation, méchanceté, paresse ou indifférence que les gens regardent le hockey plutôt que de pratiquer leurs asanas/dorment une heure de plus plutôt que d’aller courir avant de se rendre au travail/mangent de la viande plutôt que du tofu et des légumineuses/préfèrent le doute à la foi, les Advil (méchantes pharmaceutiques!) aux huiles essentielles pour guérir leur mal de tête/aiment mieux la rue Sainte-Catherine que le troisième rang de Sainte-Cécile/le confort de leur foyer plutôt que les auberges de jeunesse/etc. Ce qui nous rend plus confiants, plus en santé, plus énergiques, plus en harmonie avec nous-mêmes et le reste de l’univers n’est pas nécessairement ce qui va combler les failles existentielles de notre voisin.

Personnellement, je ne l’ai pas trouvé, « mon sens ». Je cherche encore. J’essaie des choses. Beaucoup de choses. Certaines me plaisent, d’autres me fatiguent. D’aucunes réussissent à faire les deux en même temps, c’est-à-dire que certaines activités me comblent de satisfaction autant qu’elles m’épuisent. Mon métier entre dans cette dernière catégorie. Écrire m’est nécessaire et m’apporte un sentiment d’accomplissement que rien d’autre n’a jamais réussi à me procurer, toutefois, je trouve également cela très difficile. Ce n’est pas l’écriture en elle-même qui me donne du mal, mais le fait que parce que j’ai choisi d’en faire un métier, pour avoir une quelconque valeur, cette écriture doit plaire au plus grand nombre possible. Autrement, comment je réussirai à le payer, mon loyer?

Lorsqu’on est employé dans une compagnie, il faut en quelque sorte plaire à son patron; on doit accomplir ses tâches d’une manière qui lui convient, autrement, on se voit montrer le chemin de la porte assez rapidement. Si, à l’inverse, on tombe dans les bonnes grâces de son employeur, on pourra espérer obtenir une promotion. (Je sais, mon exemple est réducteur, mais vous comprenez le concept.) L’écrivain, lui (je donne cet exemple parce que je le connais bien, mais l’écrivain n’est pas le seul dans ce genre de situation), s’il veut améliorer ses conditions de vie, doit constamment élargir son lectorat. Il ne peut pas se contenter d’avoir dix lecteurs, aussi fidèles et intéressés soient-ils. Même en en ayant 100 fois plus que cela, il n’ira pas très loin.

Quand on y pense, avoir convaincu 1000 personnes de lire son livre, c’est énorme. Mais si, dans l’absolu, ce chiffre est assez impressionnant, en termes économiques, il ne représente que des écales de cacahouète. Pour arriver à vivre de sa plume, c’est la curiosité de beaucoup plus de gens que l’écrivain devra piquer.

Dans l’absolu, encore une fois, la seule personne à qui mon écriture devrait plaire, ce serait à moi. La satisfaction que procure cet acte devrait être inhérente à l’acte lui-même. Dans une conception de l’art pour l’art, effectivement, cela serait suffisant. Mais dès que l’art se transforme en activité à visée lucrative, on nourrit par défaut l’ambition de répondre aux exigences d’autres que soi. Le plus d’autres possible. Les projets de roman ou de nouvelles auxquels je me consacre, ce sont ceux en lesquels je crois. Au départ, ce que j’écris, je l’écris parce que j’en ai envie, tout simplement. Je développe uniquement les personnages et les histoires qui me parlent, qui me semblent importants.

Voilà, à moi, ils semblent importants. Mais comme je l’ai dit et répété plus haut, ce qui a du sens et de l’importance pour moi n’en a pas automatiquement pour autrui. Si je publie des livres, ça doit être parce qu’au fond de moi, je pense que ma parole vaut la peine d’être entendue et qu’elle pourrait résonner chez plusieurs. Mais il y a des jours où, sincèrement, je ne suis plus si convaincue que mes mots (ni ceux de qui que ce soit d’ailleurs) méritent d’être diffusés. Ces jours-là, seul le silence m’apparaît une aspiration légitime. Rien ni personne mis à part le vent dans les branches ne devrait avoir le droit de parole.




*Consciente des nombreux débats (pour ne pas dire « attaques ») qui ont eu lieu récemment sur les réseaux sociaux et ailleurs concernant le véganisme, j’ai hésité à insérer ce mot dans ma liste, mais j’ai décidé de le laisser parce que justement, ce qui se passe en ce moment avec le véganisme illustre très bien mon propos. J’ai en horreur la manière qu’ont certaines personnes (je dis bien CERTAINES personnes) de distinguer les méchants mangeurs d’animaux des gentilles personnes qui se nourrissent uniquement de substances d’origine végétale. Ce n’est pas parce qu’on est vegan qu’on est une bonne personne, et vice-versa. Et ce n’est pas parce qu’on mange du quinoa qu’on va sauver la planète.